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Transport: "on va vers des réseaux subrégionaux"

Publié le 01 juillet 2008 par Energie2007

Pour Jacques Percebois, professeur à l’Université de Montpellier, le "sursis" du 6 juin autour de la séparation patrimoniale des réseaux de transport n'est que provisoire. Mieux : la séparation patrimoniale est attendue pour tout le monde.

Séparation patrimoniale ou « troisième voie » ? Le compromis du 6 juin a accordé un répit à ceux qui craignent le démantèlement des opérateurs historiques intégrés. Mais ce sursis pourrait n’être que provisoire, estime Jacques Percebois, agrégé de sciences économiques, professeur à l’Université de Montpellier et directeur du Creden (Centre de recherche en économie et droit de l’énergie). Mieux : la séparation patrimoniale est attendue pour tout le monde.

Energie2007 : Que pensez-vous des récentes décisions relatives à la séparation patrimoniale des réseaux ?
Jacques Percebois : Toutes les conditions sont réunies pour un consensus sur cette séparation patrimoniale. L’erreur eût été de l’imposer aux opérateurs ; aujourd’hui, tout le monde est d’accord, y compris les opérateurs. Et sept pays ont déjà mis en place la séparation patrimoniale des réseaux. D’un point de vue français, cela posera peu de problèmes à EDF qui conservera ses centrales. Cela en posait à Gaz de France qui, sans son réseau de transport (GRT Gaz) ne possèderait plus rien. Mais c’est bien moins vrai maintenant que la fusion avec Suez est sur le point d’être faite. Il est désormais parfaitement envisageable de céder tout ou partie du réseau sans affaiblir le nouveau groupe à condition d’obtenir des contreparties dans d’autres réseaux ou d’autres actifs. C’est vrai aussi en Allemagne où pour un opérateur comme E.ON il y a désormais un coût d’opportunité à conserver un réseau qui pourrait être cédé contre des actifs plus rentables à l’étranger.


Les débats ont été vifs. Pourquoi estimez-vous que l’on se dirige vers un consensus ?
Jacques Percebois : Il y a plusieurs raisons. D’abord, la nouvelle directive prévoit que les opérateurs historiques qui n’accepteraient pas d’ouvrir le capital de leur réseau ne pourraient pas investir dans le réseau d’autres opérateurs. C’est très contraignant ! Prenons l’exemple de Gaz de France. Ce dernier se trouverait limité au seul réseau de transport français. Or, pour Gaz de France comme pour un autre opérateur, mieux vaut disposer de 20% du capital d’un réseau européen que de 100% d’un réseau national. GDF et EDF se positionnent comme des entreprises européennes. Les entreprises y ont tout intérêt : aujourd’hui, RTE soumet son plan d’investissement à la CRE et celle-ci lui fixe sa rémunération. Et EDF n’a rien à dire, n’a aucune marge de manœuvre ! Autre raison, qui peut paraître marginale, c’est que l’accord du 6 juin prévoit que le personnel des gestionnaires de réseaux devra attendre plusieurs années avant de retourner chez l’opérateur historique. Ce n’est pas déterminant mais cette contrainte a son importance. Enfin, les régulateurs souhaitent réduire le coût d’accès au transport (les péages) et plaident pour un marché plus ouvert. La neutralité suppose l’indépendance. Vous voyez, la troisième voie sera peut être une période transitoire, mais tellement contraignante que tout le monde voudra aller vers la séparation patrimoniale, mais elle sera sans doute progressive.
La présidence française va montrer où se situent les priorités. Sur la séparation patrimoniale, on lâchera du lest. Pour les tarifs réglementés, il y aura une phase transitoire puis ils disparaîtront. C’est l’exemple récent du refus de baisse de la TIPP. Le gouvernement n’a pas voulu envoyer un mauvais signal au marché : l’énergie a un prix et ce prix est élevé. La vérité des prix doit être la norme. La véritable priorité pour la France aujourd’hui c’est de sauver la PAC.
Comment pourrait se traduire ce « monopoly » des réseaux de transport ?
Jacques Percebois : Il y aura des réseaux « régionaux » à l’échelle de trois ou quatre pays. Sous un effet « tâche d’huile », ils s’agrandiront par la suite. Bruxelles trouvera des incitations pour aider les opérateurs à investir, via des échanges de participations par exemple. Ce pourra aussi être des échanges d’actifs : des parts de réseaux contre des parts de centrales… Le capital des GRT pourrait également être ouvert à des investisseurs financiers car le taux de rémunération a l’avantage d’être stable.

La séparation patrimoniale est mal perçue par le personnel…
Jacques Percebois : Un agent RTE est d’abord un agent RTE avant d’être un agent EDF. C’est très perceptible chez les jeunes. Les gens s’identifient à leur entreprise. Tout dépend aussi de qui entrera au capital : ce sera plus facile si c’est banquier que si c’est un concurrent… Mais tout cela ne se fera pas en un jour. Dans des pays à force tradition électrique et gazière comme le nôtre, il y aura des phases transitoires… Il faut mesurer le parcours qui a déjà été accompli !


Y a –t-il des problèmes de congestion sur les réseaux de transport ?
Jacques Percebois : Oui, mais c’est très difficile à gérer : les réseaux sont interconnectés mais les frontières sont toujours là. Exemple : les problèmes de congestion sur le réseau français sont aussi liés à la congestion en Belgique. Mais il est impossible de demander aux Belges d’investir pour décongestionner le réseau en France ! Il faudra que l’on admette la nécessité d’une régulation à l’échelle européenne. Cela permettrait de fixer des tarifs communs ou très proches et de disposer d’une programmation pluriannuelle des investissements. C’est un peu ambitieux car il y a encore un nationalisme énergétique très fort… Mais c’est un mouvement irréversible, on va vers des réseaux subrégionaux.

Les opposants à la séparation patrimoniale agitent souvent « l’épouvantail » Gazprom…
Jacques Percebois : Gazprom ? Très bien ! Faisons venir Gazprom et appliquons le principe de réciprocité – qui a été conçu pour être dissuasif. Mas surtout, regardons la réalité : les Européens payent leur gaz rubis sur l’ongle. Pourquoi Gazprom couperait-il les vannes ? Et si Gazprom achète des réseaux, ce sera pour mettre du gaz dedans !

Propos recueillis en marge du Forum Enerpresse, Nice, 27 juin 2008.


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