Pour les Français, le western est essentiellement un genre cinématographique. Mais, en Amérique, il s’agit aussi (il s’agissait aussi, du moins) d’un genre littéraire abondant, aussi abondant que le roman noir, et aussi passionnant. Pourquoi il n’avait jusqu’alors jamais été systématiquement exploré en France, hormis dans des collections bas-de-gamme où les textes, par forcément bien choisis, étaient souvent amputés, demeure un mystère. On sait donc gré à Bertrand Tavernier de nous faire découvrir, dans des volumes élégants, soigneusement édités, et accompagnés de postfaces passionnantes, tout un pan ignoré de la littérature américaine, un pan qui ne s’adresse pas aux seuls cinéphiles.
Femme de feu a donné matière à un western d’André De Toth, cinéaste hongrois qui a fait la plus grande partie de sa carrière aux Etats-Unis. Il appartenait – avec John Ford, Raoul Walsh et Fritz Lang – au quatuor des borgnes d’Hollywood. Moins connu que ses pairs, il est redécouvert aujourd’hui, et on s’aperçoit que son oeuvre, inégale, compte malgré tout plus de réussites que de films médiocres, et aborde tous les genres cinématographiques.
Parmi ses westerns, trois au moins sont admirables, et fourmillent de trouvailles : Carson City, dans lequel Raymond Massey, chef de gang, pique-nique auprès de la diligence qu’il vient de piller ; La Chevauchée des bannis, où la couleur s’estompe en un noir et blanc neigeux ; et Ramrod, dont on peut lire aujourd’hui le roman de Luke Short qui lui a donné naissance.
Ainsi que le dit Tavernier dans sa postface, on se trouve dans l’univers — et dans l’écriture — du film noir : dialogues elliptiques, descriptions concises et efficaces, et un personnage de « femme fatale » incarnée dans le film par Veronica Lake, mais dans lequel on aurait aussi bien vu la Barbara Stanwyck d’Assurance sur la mort. De riches éleveurs tentent d’écarter un nouveau venu (un personnage lâche et inexistant, qui s’enfuit hors-champ au bout de trente pages), puis sa femme, la fille de l’un d’entre eux, qui s’oppose à son père. Mais elle est aidée par un cow-boy solitaire et intègre qui rumine tristement la mort de sa femme et de son fils. Des scènes d’une cruauté intense alternent avec des vignettes montrant la vie quotidienne — la marchande de tissus, l’hôtel succinct, et l’inévitable saloon — d’une bourgade de l’Ouest. Le suspens dure jusqu’aux dernières pages, comme dans un film noir, et la psychologie complexe des personnages tient plus de Dostoïevski que des auteurs du roman américain contemporain, nourris de méthodes et de cours d’écriture.
Une découverte jouissive, donc. Rien de majeur (mais, hormis Faulkner et Dylan, quel auteur américain du XXe siècle est majeur ?), mais la promesse de la poursuite, par Bertrand Tavernier, d’un filon rempli de surprises.
Christophe Mercier
Luke Short, Femme de feu Traduit de l’américain par Arthur Lochmann Actes Sud, 300 pages, 22, 5 €