Il se décrivait lui-même comme un fou du cinéma. Et cette passion il l'a transmise sans relâche pendant toute sa vie. Il a formé des dizaines de jeunes aux métiers du cinéma et les a accompagner jusqu'à la réalisation de leurs propres films. Il aura même mené certains de ses élèves jusqu'aux plus grands festivals de cinéma du monde comme le Fespaco ou encore le Festival de Cannes.
Depuis son plus jeune âge, le cinéma rythme déjà la vie d'Abdel Aziz Boye. Il vit alors proche d'un cinéma à Saint-Louis, le fréquente avec ses frères et s'improvise cinéaste avec ses amis. Dans les années 70, il étudie au sein du Conservatoire libre du cinéma français. Il y rencontre d'ailleurs Ousmane William Mbaye, celui qu'il appelle son complice. En 1992 il est son assistant réalisateur pour le film Fresque Francophone, produit pas Samba Félix Ndiaye. Il participera aussi au film Talatay Nder qui ne verra jamais le jour et au scénario de Maël de Baba Diop, aux côtés d'Amadou Thior.
Après une vingtaine d'année passée à Paris il rentre au Sénégal. Il commence à travailler à l'Université Cheikh Anta Diop (UCAD) de Dakar en 2002 au sein de l'École Supérieure Polytechnique en tant que chargé de l'animation culturelle. C'est en son sein que débute le travail de sa vie, celui de professeur. En effet malgré plusieurs scenarii écrits et en stand-by, Monsieur Boye n'a jamais réalisé ses propres films. Il se consacre à la formation.
Former au cinéma avec ciné-UCAD et ciné-banlieue
Au sein de l'université, il initie Ciné-UCAD qu'il définit comme un " cadre d'initiation à la cinématographie " destiné aux étudiants. En 2008, il poursuit en créant Ciné-banlieue adressé aux jeunes de la banlieue passionnés de cinéma pour lesquels il loue une maison dans le quartier Parcelles Assainies. Il accueille les activités à ses propres frais. " Ensemble, nous partageons notre passion pour le cinéma [...] c'est un petit cadre sans prétention " dit-il. " Je suis marqué par la générosité de cet homme, une qualité rare dans notre métier, qui a préféré transmettre son savoir, former des jeunes au lieu de faire des films. Il a donné envie à des jeunes de faire des films, d'aimer le cinéma au moment où le 7e art était en crise " insiste son complice Ousmane William Mbaye à l'annonce de son décès. Adama Bineta Sow, élève depuis 2013 à Ciné-UCAD, se souvient: " Tout ce qu'il l'intéressait c'était la réussite de tous les jeunes. Comme quand les gens lui disaient " Mais monsieur Boye, essayez d'avoir de l'argent avec ça, pourquoi vous ne voulez pas que les étudiants vous payent ? " Et monsieur Boye répondait : " Laisse-moi, ces jeunes n'ont rien, toi aussi ! ".
Ainsi, il donne un accès à tous à la formation cinématographique. Le partage de sa passion, voir ses élèves évoluer et réussir, c'était cela sa fierté. Et avec Ciné-Ucad et Ciné-banlieue monsieur Boye accompagne, chaque année, un groupe de jeunes aux principes de l'écriture de scénario et à la réalisation d'un film. Les cours avaient lieux tous les jeudi soir à Ciné-UCAD. Mais rapidement ils prenaient la forme de discussions et d'échanges entre lui et les étudiants. " Il parvenait à nous apprendre des choses dans un environnement fun, il se mettait à notre niveau. On aurait dit que c'était plus qu'un professeur. C'était comme si c'était un ami à côté de nous et qui nous apprenait des choses " ajoute Bineta. Monsieur Boye maniait l'art de la pédagogie adaptée à ses élèves. " Ce que j'ai appris, ajoute Bineta, c'est les bases de l'écriture de scénario et puis les techniques de réalisation : apprendre les plans, les mouvements de caméra, les axes. Toutes les techniques dont on a besoin pour réaliser un film. Et surtout on a pratiqué, réalisé ensemble un court-métrage. Il y a rien de mieux que l'expérience de terrain ". Sans matériel ni moyens, cela donne " des petits films réalisés avec des bouts de ficelles " disait Abdel Aziz Boye. Concrètement, un court-métrage de fiction par année était réalisé.
" C'est une affaire de passion c'est une affaire de détermination " se défendait-il. Passion et détermination qui aboutissent à une véritable professionnalisation de ces jeunes. Après chaque projet collectif, monsieur Boye incitait les jeunes à écrire et réaliser leur propre film et continuait à les accompagner dans cette nouvelle aventure. " Son accompagnement venait de son cœur. Je venais, on discutait ensemble du scénario, il me disait quoi améliorer, il m'a donné beaucoup de conseils avant de tourner mon premier film Aveuglé par une aveugle " confie Bineta.
" Il n'était pas seulement un professeur "
Monsieur Boye a aussi apporté à ses élèves bien plus que des conseils cinématographiques. Il les a accompagnés dans la connaissance d'eux même. " Sur mon projet de film, étant de nature très impatience, monsieur Boye a été quelqu'un qui a toujours été sincère avec moi en me disant : " Bineta, Bineta, Bineta doucement, soit patiente, doucement. Mais yow dangay ñew rek tëp dem defi ! (Mais toi tu viens juste et tu veux sauter toutes les étapes !). Il me disait tout le temps ça, tout le temps. " Baba Ba, élève aussi depuis 2013 corrobore ces dires : " Sur mon projet de film, il m'a beaucoup encouragé, il me recadrait et me donnait des conseils. Il disait aussi tout le temps à ses étudiants d'être patients dans leurs projets. Une phrase qu'il répétait souvent en arabe avant de la traduire en français " Dieu est avec les patients " ". Bineta : " Il n'était pas seulement un professeur, il était également un père, dans le vrai sens du terme. Pour moi et tous les autres élèves ". Mister Kara, lui aussi élève de Ciné-UCAD confirme : " Il est devenu mon professeur de cinéma, puis un grand ami, un père, un confident et enfin un père spirituel ".
Il n'a pas seulement transmis le cinéma, il a transmis des valeurs universelles d'humanité, comme en témoignent chaque personne l'ayant cotoyé. " Il était très ouvert d'esprit. C'était le seul que je connaisse qui ait cet âge et qui comprenait à ce point les jeunes. Monsieur Boye était le genre de personne où tu peux venir, tu lui parles de n'importe quoi, il ne va pas te juger, il va t'écouter, il va essayer de te comprendre et de t'aider à avancer " se rappelle Bineta. " C'est un homme surdimentionnel. Il faut inventer un nouveau mot pour le décrire. Il dépasse l'extraordinaire. Il avait un cœur énorme. Il donnait tout son temps, toute son énergie il l'a consacré à la jeunesse et le cinéma ". Pour monsieur Boye, " la richesse ce n'est pas l'argent, ce n'est pas l'avoir, avoir des choses, une maison, une voiture. La richesse c'est avoir beaucoup de gens autour de soi et de manière vraiment sincère. Il avait compris le vrai sens de la richesse, " nous dit Bineta comme une leçon qu'elle a aussi appris de lui.
Son humilité et sa générosité font aussi l'unanimité chez les gens qui l'ont côtoyé comme certains réalisateurs sénégalais reconnus. " Cet homme a beaucoup fait avec beaucoup de générosité et peu de moyens pour le cinéma au Sénégal et la formation des jeunes issus des banlieues et milieux populaires " s'est exprimé la réalisatrice Rama Thiaw. " Il a permis à beaucoup de jeunes sénégalais de renouer avec l'envie de cinéma, s'est engagé seul, sur ses propres fonds, et a relancé une génération. Son œuvre est immense " dixit le réalisateur Alain Gomis
Monsieur Boye avait une vision à long terme et un espoir sans faille dans ses étudiants qui étaient à ses yeux " la nouvelle génération pressentie pour tenir haut le flambeau du cinéma sénégalais ". Moly Kane par exemple, élève de Monsieur Boye en 2008, présenta son premier court métrage Moly en 2011 au Festival de Cannes dans la section Cannes Classics. Moly a aussi été primé lors du Fespaco 2012 et au Festival Cinémas d'Afrique d'Angers 2013. Ou encore Pape Bounama Lopy, un de ses élèves qui présentait son dernier film Dem dem en compétition aux Journées Cinématographiques de Carthage (JCC) lorsqu'il a appris la nouvelle du décès de son ancien professeur. Pape Bounama Lopy, Kady Diédhiou, Adama Binta Sow, Moly Kane, Ismaël Thiam, Amath Niane...autant de jeunes qui ont eu la chance de croiser la route de Monsieur Boye...
Un héritage et des chantiers
Aujourd'hui qui va porter le flambeau de la formation des jeunes et de la valorisation de cette jeunesse cinéphiles, cinéastes en devenir ? Comment faire perdurer ses actions et son combat ? Il le disait souvent, il voulait créer une réelle filière universitaire en cinéma/audiovisuel. Il luttait pour la mise en place d'une politique volontariste étatique afin de (re)construire des salles de cinémas, faire connaître la nouvelle génération de cinéastes sénégalais au public sénégalais, ouvrir des centres de formations pour la jeunesse et appuyer l'industrie cinématographique comme on a pu le voir au Burkina Faso ou encore au Maroc. Ses élèves en tout cas comptent bien, intimement, honorer des années de compagnonnage avec Abdel Aziz Boye. Pour Bineta, premièrement " en intégrant ses qualités en moi-même " et continuer à transmettre ce qu'il a lui-même transmis. Mais aussi, continuer à " se former, jusqu'à la fin de notre vie ". Et bien sur, " faire des films comme il aurait aimé les voir " nous dit Baba. Mister Kara ne peut qu'être d'accord : " si tous ces étudiants font des films, sa mémoire sera honorée ". Continuer à créer, à transmettre et à rêver....Abdel Aziz Boye a été inhumé sur ces terres natales à St-Louis, ville qui l'a vue naître dans les années 50.
Interview de " Monsieur Boye ", publiée sur Cultura Dakar le 11 sept 2014
sources :
Senciné magazine du cinéma et de l'audiovisuel, n°2, 1er semestre 2015
Blog Le grenier de kibili, d'Aboubacar Demba Cissokho
Sud quotidien du 11/08/2017
Le Soleil online du 29/08/2017
Agence Presse Sénégal du 10/11/2017
http://www.seneweb.com/news/Culture/un-realisateur-appelle-a-ne-pas-lsquo-de_n_143031.html http://www.imagesfrancophones.org/ficheGrosPlan.php?no=12470 http://www.dakarcine.com/infos/les-pensionnaires-de-monsieur-boye/