" Tranchant sur cette production sérielle banalement correcte, le génie tumultueux de Rodin domine la fin du XIXe et le début du XXe siècle. Actualisant les leçons et l'art de Michel-Ange, il insuffle à ses œuvres une puissance lyrique et expressive, un sens de la synthèse et du mouvement. " (Michel Fragonard, "La Culture du XXe siècle, dictionnaire d'histoire culturelle", éd. Bordas, 1995).
Le sculpteur inclassable Auguste Rodin est mort il y a un siècle, le 17 novembre 1917, à l'âge de 77 ans (né le 12 novembre 1840) à son domicile de Meudon (devenu musée). C'est l'occasion d'évoquer cet artiste qui est désormais "très classique" mais qui, de son temps, était un véritable révolutionnaire. Un véritable monument national de l'art français, exceptionnel tant par la qualité de ses œuvres que par leur quantité, car Rodin a énormément travaillé et a énormément produit (près de 40 000 œuvres !).
Au contraire des peintres, les sculpteurs vivaient principalement des commandes officielles de l'État ou de riches puissants, car leur art coûtait beaucoup plus cher que celui des peintres. C'est pourquoi la sculpture a mis un peu plus de temps à évoluer que la peinture dans la seconde moitié du XIX e siècle.
La sculpture servait alors le classicisme académique (renforcé ultérieurement lors des commandes des monuments aux morts après l'armistice du 11 novembre 1918). Rodin fut parmi les premiers à faire des sculptures de vie quotidienne ou de personnages qui ne furent pas des célébrités. Le réalisme de Rodin a, en ce sens, suivi le mouvement des (peintres) impressionnistes, tout en ne rejetant pas, d'une certaine manière, le romantisme.
Au-delà de la composition, la sculpture de Rodin est également révolutionnaire sur la forme : l'aspect lisse est délaissé au profit d'une surface plus rugueuse et cabossée, plus en rapport avec la dureté de la vie, la douleur, ce qui n'empêche pas aussi une réelle sensualité de ses œuvres qui, là aussi, a eu de quoi détoner dans la société puritaine de l'époque.
D'abord incompris, Rodin fut ensuite honoré nationalement dès 1887 avec la Légion d'honneur et consacré internationalement lors de l'Exposition universelle de 1900 à Paris où un grand pavillon lui fut dédié (à ses frais) sur la place de l'Alma. Rodin s'est installé à Meudon en 1893 et y a acheté sa villa en 1895 qu'il transforma en atelier. Le pavillon de l'Alma fut démonté en 1901 et remonté dans sa propriété de Meudon.
Parmi les nombreuses relations internationales que Rodin a pu nouer, citons le jeune poète autrichien Rainer Maria Rilke (1875-1926) en 1902, qui est devenu ensuite son secrétaire pendant quelques mois (après avoir écrit un essai sur le sculpteur). Rilke s'était marié en 1901 avec une ancienne élève de Rodin, la sculptrice Clara Westhoff (1878-1954), dont il se sépara en 1902.
Au-delà de son influence sur plusieurs sculpteurs comme sa muse Camille Claudel (1864-1943) et son élève Antoine Bourdelle (1861-1929), qui a recherché à renouer avec le naturalisme néo-classique, Rodin a aussi fait émerger au début du XX e siècle, par réaction, de nouvelles expressions pour sortir de son propre style, comme le cubisme, le futurisme, le surréalisme, etc.
Parmi ses œuvres qui nécessitaient, au-delà de la créativité, beaucoup de technique et une équipe de praticiens et d'ouvriers (Rodin ne travaillait pas lui-même la matière, en particulier, pas le marbre, ce qui lui fut souvent reproché), j'en citerai ici quelques-unes assez connues.
D'abord, l'une des œuvres les plus célèbres de Rodin, "Les Bourgeois de Calais", commandée le 24 septembre 1884 par la ville de Calais (dirigée par le maire Omer Dewavrin qui voulait redynamiser sa ville) pour rendre hommage à Eustache de Saint Pierre venu implorer le pardon du roi d'Angleterre Édouard III le 3 août 1347, et inaugurée le 3 juin 1895, un ensemble en bronze auquel aurait participé Camille Claudel. Ce fut l'une des entreprises de narration du "roman national" voulue la III e République à ses débuts, qui se cherchait de nouveaux héros français hors du cadre religieux. Il existe douze exemplaires de cette statue, dont à Calais, au Musée Rodin à Paris, à Copenhague, à Londres, à Bâle, à New York, et même à Séoul.
Ensuite, l'une des œuvres les plus belles et sensuelles de Rodin, "Le Baiser" commandée en 1888 par la République française (l'État français) pour l'Exposition universelle de 1889 à Paris. Quatre exemplaires en marbre ont été produits, d'autres en plâtre et des petits formats en bronze existent aussi, nombreux. On peut en retrouver au Musée Rodin à Paris, au Jardin des Tuileries à Paris, à Londres, à Copenhague, à Philadelphie, etc.
Enfin, sans doute la plus connue des sculptures de Rodin, "Le Penseur" fut commandée en 1879 par le Musée des arts décoratifs de Paris pour illustrer la "Divine Comédie". "Le Penseur" devait d'abord s'appeler "Le Poète", représentant Dante méditant devant la Porte de l'Enfer. Rodin l'a fait nu et musclé. Le premier moulage en plâtre fut réalisé vers 1880 et en bronze en 1902. Environ vingt-cinq exemplaires ont été produits, en particulier un qui fut longtemps érigé devant le Panthéon avant d'être déplacé au Musée Rodin de Paris, un autre sur la tombe de Rodin à Meudon (dans sa villa), aussi à Copenhague, etc. Cette œuvre a été souvent imitée et pastichée par de nombreux artistes sous diverses formes (y compris la bande dessinée par Gotlib, entre autres).
Beaucoup d'œuvres monumentales ont été commandées à Rodin, comme la statue de Balzac, commandée par Zola, réalisée entre 1891 et 1897, qui donna lieu à de nombreuses polémiques et scandales. La statue est actuellement au Musée Rodin à Paris, après avoir été inaugurée seulement le 1 er juillet 1939 au boulevard Raspail à Paris et elle avait beaucoup d'importance pour Rodin : " Je ne me bats plus pour ma statue. Elle sait se défendre elle-même. Si la vérité doit mourir, mon Balzac sera mis en pièces par les générations à venir. Si la vérité est impérissable, je vous prédis que ma statue fera du chemin. Cette œuvre dont on a ri, qu'on a pris soin de bafouer parce qu'on ne pouvait pas la détruire, c'est le résultat de toute ma vie. " (cité par George Descharnes en 1996 et repris dans Wikipédia).
Ou encore cette "Porte de l'Enfer" (finalement décommandée), réalisée entre 1880 et 1887, puis retouchée jusqu'à sa mort en 1917 et jamais achevée, qui représente une sorte de pot-pourri de toutes ses créations pendant une trentaine d'années ("Le Baiser", "Le Penseur", etc.). Les exemplaires en bronze ont tous été fondus après sa mort.
Rodin n'était pas qu'un sculpteur. Il réalisa également de nombreux dessins (c'était la seule chose qu'il savait faire quand il était enfant à l'école), comme "Le Bain de la Sirène" réalisé en 1900 (exposé au Musée des beaux-arts d'Argentine à Buenos Aires). Environ 9 000 œuvres picturales (dessins, gravures, peintures) ont été réalisées par Rodin, parfois des nus très érotiques.
Ceux qui peuvent se déplacer à Paris et à Meudon, sur les deux sites du Musée Rodin (Hôtel Biron, au 77 rue de Varenne à Paris 7 e, et Villa des Brillants, au 19 rue Auguste-Rodin à Meudon), ont la possibilité d'admirer de très nombreuses œuvres de Rodin. Le Musée parisien a même été rénové et à ma connaissance, il y a toujours une queue le long de la rue de Varenne pour y entrer (700 000 visiteurs par an !). Plus de 32 000 œuvres de Rodin (sur les presque 40 000 produites) ont été conservées par le Musée Rodin dont on peut télécharger le rapport d'activité. En 2016, il y a eu près de 1,1 million de visiteurs dans les expositions temporaires consacrées à Rodin en France et à l'étranger. Le Grand Palais lui a consacré une très récente rétrospective à Paris, du 22 mars 2017 au 31 juillet 2017 : "Rodin, l'exposition du centenaire". Par ailleurs, une pièce de monnaie de 2 euros à son effigie a été émise par la Banque de France en 2017.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (15 novembre 2017)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Rapport annuel d'activité du Musée Rodin de 2016 (à télécharger).
Auguste Rodin.
Margaret Keane.
Rouault et Matisse à Paris.
La garde rapprochée du Premier Empereur de Chine.
Un Renoir de la Côte d'Ivoire.
Magritte.
Daniel Cordier.
Boulez à Paris.
La collection Cordier à Rodez.
Soulages à Rodez.
Claude Lévêque à Rodez.
Caillebotte à Yerres.
Goya à Paris.
Brueghel à Paris.
Chagall à Paris.
Dali à Paris.
Van Gogh à Paris.
Hiroshige à Paris.
Manet à Paris.
Rembrandt à Paris.
Boltanski, artiste contemporain.
Boltanski au MacVal.
http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20171117-rodin.html
https://www.agoravox.fr/culture-loisirs/culture/article/rodin-l-auguste-sculpteur-198714
http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2017/11/15/35867649.html