Jacques Demarcq publie Phnom Poèmes, documentaire, aux éditions Nous.
Rive gauche
le Mékong se traverse à vélo
dans une cohue de motos camionnettes marchandes
pour 500 riels 0,25 € sur 2 km en 20 mn de bac
le temps de contempler toute une flot-
tille à l'éparpille sur l'immense limoneuse flaque
de longues barques familiales ou sampans
poupe et bord parfois peints de bleu jaune rouge
l'hélice relevée au bout d'une longue tige
pose ou tire des filets un homme à l'avant
son frère ou sa femme manœuvre à la rame
les mouflets sous les arceaux d'une cabane
à la pointe de la presqu'île avec le Tonlé Sap
je sais l'échouage gadouilleux où ils dorment
calés quasi dans les tuyaux des dragues à sable
pour le palace entre autres qui derrière se bétonne
ses 30 étages entouristés n'y aura plus
qu'à jeter à vau-l'eau les sampans taudis
rive gauche un talus de 8 m hauteur de la crue
des baraques planche et tôle sur flotteurs ou pilotis
le fleuve est vaste il est puissant il se comporte
en souverain distribuant l'aumône de son petit
poisson ramassable au carrelet devant chaque porte
le bac racle la grève la foule s'anime je suis
l'ébranlement des motos c'est-à-dire pousse
sur la pente à pied ma bécane dans une pétarade
jusqu'à un sentier sableux où je l'enfourche
arrêté bientôt milieu du chemin par un bath
de baldaquin d'où pendent blancs à jaunes festons
des poêles entourant un cercueil nommant son mort
des chaises attendent sous tente rayée multicolore
une odeur de cuisine sort de la maison
plus loin c'est la campagne un verger des manguiers
je traverse au soleil un luciolement de libellules
admire au bord du fleuve des légumes irrigués
des sternes remontent dare-dare vers le nord
je les imite sur une piste en latérite
au milieu dort étalé un chien il m'ignore
dans la cour d'une pagode un bœuf blanc médite
je croise une charrette à cheval sur un pont
un jeune gars la conduit téléphone à l'oreille
à corolle blanche sur un marigot des liserons
leur cœur aussi mauve que l'eau buvant le ciel
dès le vert des rizières me parvient la sono
arrosant d'une mélasse de rock khmer un village
sous barnum bariolé comme catafalque un mariage
managé par Heng Lay des fringues aux photos
le revendique la pub sur son camion
assez pédalé retour aux rives bourbeuses du fleuve
un gamin nu se jette à l'eau son pantalon
à l'épaule il agrippe qui démarre la barque du père
pour voir comment un filet se manœuvre
sur un sampan amarré une fillette à l'arrière
s'offre à ma photographie toute fière du sac
de friandises qu'elle préfère à la friture
mon vélo peu après sur le bac
j'ai envie de tenter plus avant l'aventure
janvier 2012
Jacques Demarcq, Phnom Poèmes, documentaire, 2017, 200 p., 15€
Comme les oiseaux qu’il tente d’imiter, Jacques Demarcq aime changer de paysage. À Phnom Penh, il est revenu deux hivers. Entre une culture bouddhique souriante et les violences mal refermées des années khmères rouges. Entre un Mékong lumineux et l’espoir qui patauge au bord. Entre un modernisme superficiel et une éternité stagnante.
Avant-lire de Jacques Demarcq sur le site de l’éditeur
Jacques Demarcq dans Poezibao :
Bio-bibliographie, extrait 1, extraits 2 (Zozios), Les Zozios , Folle Genèse, [Entretien] Jacques Demarcq avec Valérie Rouzeau, "Avant-taire", par Jean-Pascal Dubost, "Avant-taire", par Bruno Fern, " Avant-taire : roman en vers", par Bernard Bretonnière, ext. 3, [note de lecture] Jacques Demarcq, "Rimbaldiennes" par Jean Renaud