(Notes sur la création) Bernard Noël, "du jour au lendemain"

Par Florence Trocmé

Les éditions L’Amourier viennent de publier un important recueil regroupant tous les entretiens de Bernard Noël avec Alain Veinstein. Une mine accessible grâce au travail de transcription de Nicole Burle-Martellotto.


« Ce qui m'a toujours gêné dans l'écriture des romans, c'est d'en passer par la représentation, le rêve étant d'atteindre la chose même, d'écrire un jour sans relâche, de telle sorte que l'écriture remplace tout. À une époque où je croyais qu'un roman était là, tout à fait accessible, et où cette obligation d'en passer par la représentation désespérait mon entreprise, je me suis aperçu que la poésie, de temps en temps, assurait le passage direct des mots du mental à la page, c'est-à-dire que la page et le mental étaient alors analogues et que les mots de la poésie se comportaient sur la page comme des concrétions directes de ce qui apparaissait dans l'espace mental, donc que c'était le seul domaine où il n'y avait pas de médiatisation, ni de représentation.
C'est peut-être ce que j'ai trouvé chez Matisse. Ce qu'il y a de fascinant chez ce peintre, c'est qu'il est l'un des plus grands dessinateurs de l'histoire de la peinture et qu'il n'a eu de cesse de se débarrasser du dessin, pour aboutir aux papiers découpés de la fin de sa vie où le dessin et la forme sont identiques, je veux dire que le découpage de la forme dans le papier n'est plus du dessin. Matisse gouache une feuille de papier et ensuite découpe à l'intérieur une forme, mais ce n'est plus dans du papier qu'il découpe cette forme, c’est dans l'espace et il a un mot extraordinaire — il a 80 ans quand il le dit — il dit que sa main qui découpe se comporte comme un oiseau. »
Bernard Noël, du jour au lendemain, entretiens avec Alain Veinstein, éditions de l’Amourier /INA, 2017, 348 p., 23€.