Pete Snow est écartelé par une contradiction. D’une part, il
est excellent comme assistant social protégeant des enfants en danger dans
leurs familles. Son seul défaut, peut-être d’ailleurs une qualité, est une
implication excessive dans les dossiers dont il s’occupe, et dont on comprend
qu’ils sont pour lui moins des dossiers, car il a horreur de la paperasse, que
des questions humaines. Mais, d’autre part, il a été incapable de protéger sa
fille, entrainée par sa mère inconsciente des risques dans une vie pleine de
fêtes – alcool, drogue et hommes. Rachel, qui préférera se faire appeler Rose,
disparaît à treize ans. Ce n’est pas pour le meilleur, comme le montrent des
conversations insérées en fin de plusieurs chapitres, sans fournir de réponses
à toutes les questions.
De cette contradiction en découlent d’autres, à moins
qu’elles soient situées en amont, toutes les circonstances formant, ensemble,
un filet serré dont Pete est incapable de se dépêtrer – il en serait incapable
même s’il le voulait, ce qui n’est pas certain.
Des personnages étonnants surgissent, dont le plus
spectaculaire, Jeremiah Pearl, est un fanatique de l’Apocalypse à nos portes,
la preuve par cent théories puisées chez les complotistes les plus virulents
d’où il tire la conviction qu’il est temps d’agir contre la ruine du monde. En
se retirant dans la montagne avec sa famille, dans la foi et l’isolement, dans
la précarité sanitaire aussi. Son fils Benjamin, pour qui Pete éprouve de
l’affection, accompagne Jeremiah dans ses délires. Et Pete, tandis qu’il
persiste à sauver Benjamin, en partie contaminé par l’énergie désespérée du
bonhomme, se met à écouler des pièces de monnaie trouées destinées à saper
l’économie des Etats-Unis corrompus. Ce rêve inaccessible est cependant pris
très au sérieux par les autorités fédérales et la découverte des cadavres de la
femme de Jeremiah et de leurs autres enfants fait de lui un ennemi public de
belle dimension. Les faits sont un peu plus complexes.
Dans les forêts, sous la neige, la Yaak Valley résonne de
quantité d’histoires entrecroisées. Cecil, un jeune garçon probablement
irrécupérable, passe par là. Et une petite fille aussi lumineuse qu’effrayée.
Et le frère de Pete, que son agent de probation recherche activement. Les bars,
les amours provisoires, la bonne volonté contrariée, l’ombre de Rachel/Rose
donnent au premier roman de Smith Henderson, Yaak Valley, Montana, un relief tourmenté.