En fait, Doug Swieteck a dépassé ce stade depuis longtemps mais il a une telle aptitude à encaisser les coups durs (et autres brutalités ou vexations) qu'il demeure positif en toutes circonstances.
Il raconte presque tout des galères qu'il endure, que ce soit à la maison où son "crétin" de frère lui en fait subir des vertes et des pas mûres, ou dans la classe de quatrième de son collège. Il ne se plaint pas. Il a au contraire l'art de minorer les faits ou de pratiquer l'ellipse pour épargner le lecteur. Il lui cache ce qui se passe les mauvais jours, sauf qu'on a compris qu'une journée ne peut jamais être tout à fait bonne.
Le gamin a de la trempe. Il tient de tous les héros qu’on connaît depuis Dickens en passant par Victor Hugo. Il ficèle ses confidences avec un humour qui relève du second degré, apostrophe régulièrement le lecteur avec lequel il instaure la connivence. Il ne crache jamais le morceau, même quand il est sur le point de faire démasquer le coupable. On l'admire un peu d'un tel courage dont le carburant est la détermination. L'enfant n'est pas un faible mais la vengeance n'est pas inscrite dans son ADN. Il attend le moment propice et on espère que quelque chose de bon finira par se produire en se rappelant qu'à coeur vaillant rien n'est impossible ...
Gary D. Schmidt situe l'histoire aux USA en 1968, dans une Amérique en pleine guerre du Vietnam, au coeur d'une petite ville de l'état de New York, dans une famille subissant le manque d'argent, la violence, les idées toutes faites, quelques mois avant la première marche sur la lune, alors que Joe Pepitone (né en 1940) était un très grand joueur de baseball. Il faut donc se resituer dans le contexte et on peut s'interroger sur la capacité d'un ado d'aujourd'hui à y parvenir. Etre "dans la lune" allait bientôt ne plus être synonyme de décrochage scolaire puisque des hommes s'apprêtaient à s'y rendre. Le grand rêve allait devenir réalité, ce qui fait dire au professeur de sciences que les enfants viennent au Collège Washington Irvin pour apprendre à bâtir les fondations qui rendent leurs rêves possible. (p. 93)
Dough est loin de se projeter dans un tel avenir parce qu'il a une sorte d'infirmité qui nous sera révélée seulement page 95, mais que l'on peut deviner auparavant si on est très attentif.
Chaque chapitre est illustré par une reproduction d'une planche du livre Les oiseaux d'Amérique de John James Audubon. Et on apprendra vite le rôle qu'elles vont jouer dans la vie du garçon.
Le style est vif, sans verser dans le pathétique pour au final nous permettre d'accompagner le jeune garçon sur le chemin qui va le conduire à son destin.
Dough rencontrera sur ce parcours des personnes très positives. Sa mère, dont le sourire semble illuminer ses journées. La seconde est Lil Spicer qui l'attend au bout de la rue sur son vélo et va l'inciter à se rendre à la bibliothèque pour y faire autre chose que lire avant de devenir pour lui une sorte de muse. C'est un lieu magique pour celui qui a besoin de s'évader. M. Powell lui apprendra à "réfléchir en artiste" en scrutant les postures des oiseaux et y voir par exemple autre chose que "deux macareux stupides" (p. 102). Cet adulte lui permet d'analyser une situation au-delà de la première impression. Un petit chevalier (et son nom est très symbolique) lui donne par sa posture, la force de résister à son père quand celui-ci, furieux, s'apprête à le frapper et rate sa cible (p. 188). Il lui faudra une détermination et une patience sans faille pour remporter d'autres victoires.
Dough se révèle très doué en dessin. Parfois l'art peut vous faire oublier tout ce qui est autour de vous (p. 349) et ce don va lui permettre de se construire. Il est talentueux aussi dans une discipline mathématique, les statistiques, qu'il exprime avec humour, en clin d'oeil avec le lecteur. Mais peut-on systématiquement s'appuyer sur les chiffres ? Il sympathise avec de nombreux adultes qui sont désignés par leur nom s'ils sont positifs, par un surnom (manie héritée de son père) dans les autres cas, même s'il a de l'empathie pour tout un chacun, surtout lorsqu'il découvre une passion commune pour le dessin. Tous les protagonistes sont bien typés.
C'est un garçon volontaire qui ne rechigne pas à faire des livraisons le samedi pour engranger quelques sous. Et qui sait repérer les jolis instants, la puissance du sourire de sa mère, la délicatesse d'une orchidée, la saveur d'un plat, et apprécier les bons moments comme le Pique-Nique Annuel des Salariés de l'usine où travaille son père. La manifestation mérite les majuscules car tout y sera extraordinaire.
Le Soit-Disant-Professeur-de-Gym lui demande de retirer son tee-shirt. Personne n'a rien remarqué. Jusqu'ici tout va bien ... (p. 209) se dit l'enfant pour nous rassurer. Nous avons vu s'enchainer les catastrophes alors si jusqu’ici tout va bien qu’est ce que ça va être bientôt ? Mais Dough pense à l'aigrette neigeuse qui porte la tête haute et a ce bec pointu qui défie le monde. Alors, oui, jusqu'ici tout va (encore) bien.
Le garçon n'aura de cesse de remettre chaque tableau d'oiseau disparu à l'endroit où il est censé être. L'auteur pratique une sorte de métaphore car l'enfant va effectivement consacrer une année scolaire pour réussir le challenge de tout remettre d’aplomb. Il y aura des embuches mais on le voit poursuivre son objectif avec une ténacité exponentielle. Le récit est prenant jusqu'au bout parce que plusieurs histoires se croisent autour de personnages très typés, notamment son frère ainé de retour du Vietnam.
On croit deviner ce qui va se passer mais l’auteur a une forte capacité à surprendre.
Ce livre prend souvent une tournure philosophique, enseignant à l'enfant que quand on a perdu quelque chose (ou quelqu'un) il reste le souvenir et c'est déjà ça.La fin est ouverte. On ne jurera pas que ça se termine bien mais au plus près.
Jusqu'ici, tout va bien de Gary D. Schmidt, traduction de l'anglais (E.U.) par Caroline Guilleminot, illustration de couverture d'Antoine Doré, École des Loisirs, Collection Médium, pour des lecteurs de 14 ans et +, en librairie le 4 octobre 2017