Le jeudi 12 juin, le festival Contretemps proposait sa « Jazz Food » à La Salamandre, avec le groupe d'électro-Jazz Strasbourgeois Zeroklub et la chanteuse Jazz-Soul Sandra Nkake et DJ Sweetieyep entre les sets.
Zeroklub est un groupe d'électro-jazz Strasbourgeois comprenant deux pointures du Jazz local : le trompettiste Serge Haessler et le vibraphoniste Ghislain Muller, tous deux membres du VSP Orchestra (Vibraphone Special Project, dédié au vibraphone et à l'alphorn suisse, qui se produira le 13 août au Festival de Jazz de La Petite Pierre), soutenus par une basse électrique groove, un DJ aux platines, scratches et samples vocaux de films, un claviériste et un batteur, et parfois Eli Finberg à la voix. Fondé en 2007, on a pu les entendre l'an dernier aux « Pelouses Electroniques du festival « Contre Temps ».
On est accueilli dans leur musique par des nappes de claviers dramatiques sur des scratches, une batterie obstinée et une basse groove, un vibra tintinabulant et une trompette à la Erik Truffaz qui n'a jamais abandonné le quartet Jazz, fût-il électrifié, pour une formation aussi moderne, des samples de films d'anticipation. Et pourtant cet éclectisme des effets n'empêche ni la cohésion musicale d'ensemble, ni même le lyrisme de la trompette dont il est l'écrin.
Un sample de péplum puis une chute futuriste annonce « Time Is Running Out », le titre le plus rythmé de leur répertoire. Puis le fender rhodes se fait groovy. « Time Is Running Out For The Planet Earth » annonce une voix de prophète ou dictateur cosmique anticipant l'apocalypse dont notre mépris pour l'écologie pourrait se rendre responsable, auquel répondent des clameurs de réfugiés climatiques en écho. Les scratches imitent les anneaux de Saturne. Puis la trompette aborde le thème, rapide, incisive, suivie du claviers space, puis des scratches, avec un côté « NoJazz » mais une plus grande virtuosité de la trompette (quoique le trompettiste de NoJazz était de loin le plus doué du groupe et le plus jeune), entre Miles Davis dans les aigus et Erik Truffaz, puis part faire un tour du monde dans les scratches, rencontrant la batterie en clavé cubaine sur la cowbell de la cymbale. La trompette finit dans des effets aux pédales invisibles sur des nappes de claviers lactés.
Le troisième thème est groove, puis la basse part en reggae, sur une chute « Aaaaaah », la basse « Jamming » comme Bob Marley avec le fender rhodes sur les griffures du vibraphone et la batterie drum'n'bass, au beat obstiné sur la fin. « Pour ceux qui veulent danser », annonce Serge Haessler pour faire se rapprocher le public. Puis nous plongeons dans l'atmosphère sous-marine de « Grand Silence », à la batterie dramatique et lourde ménageant le suspense sur le tempo, à la manière de « The Walk Of The Giant Turtle » de Truffazz, son disque le plus Rock. Le vibraphone fait tomber ses étoiles, ralenties par les scratches à l'envers, sous la trompette énergique à la Miles, période « Doo-Wop », avec cette fraîcheur de rester à la pointe de la modernité et de chercher toujours jusqu'au dernier son, au dernière souffle, aux dernières notes, au dernier pas dépassant son temps, au dernier train d'avance pris en marche Hip-Hop electro, avec des étoiles en tunnel de vibrantes reflétées par le vibra dans le vide aux résonances stellaires. Puis la batterie part à trois temps sur le rhodes saturé comme un moteur emballé d'où l'on voit la Chine par le hublot des touches du clavier, avant un orage spatial, cosmique, accident bigbangesque de la basse à l'atterrissage en catastrophe sur le sol accidenté de la batterie Rock sous les distorsions d'un ciel aux résonances Pink-Floydiennes, roses comme les lumières du Zénith de Strasbourg à l'inauguration duquel ils enregistrèrent ce thème, accueillies par des platines vocales synthétiques en fumerolles à la Jean-Michel Jarre prouvant qu'il y a de l'oxygène et peut-être de la vie sur cette planète, et la trompette reprend la mélodie.
Il y a Fred Traverso aux claviers, Gaël aux platines, Serge Haessler à la trompette, Ghislain Muller au vibraphone, Niko Picard à la batterie et Christian à la basse. Pris par les compositions, je ne remarque qu'à cet instant d'applaudissements une magnifique fille noire dans une robe d'été qui danse devant la scène, sans la reconnaître de profil. Serge Haessler demande « Est-ce que Voice est dans la salle ? ». Et c'est bien elle qui monte sur scène, arrivée avec un jour d'avance sur son concert du lendemain, pour chanter avec eux, avec son accent traînant son Mississippi de New Orleans, à la fois vieille comme le monde et jeune comme ses éclats de rire enfantins. Ils se sont, me dira-t-on à l'entracte, rencontrés sur MySpace et ont échangé leurs chansons sur Internet.
Elle chante une de leurs chansons à la place d'Eli Finberg, « Imagine A Nation ». Après une l'intro piano d'une ballade Hard Bop d'Horace Silver sur Blue Note, son flow rapide court sur la batterie avec la déflagration de la trompette à l'arrière qui se fait ensuite lyrique, intemporelle, MilesTruffazienne dans la mélodie. Ses phrases s'enchaînent sur la rythmique syncopée de la batterie qui part ensuite en drum'n'bass/jungle. Le scratche siffle à nos oreilles sur le rhodes nous pilotant dans l'espace aquatico-stellaire, accompagné par Truffaz sur le contretemps de la batterie, quand nous atteint par satellite le message d'une voix, enchanteresse sirène de l'au-delà dont Ulysse devrait se méfier pour ne pas heurter une météorite tant elle est irrésistible.
Le vibraphone est plus rapide sur les deux temps d'un dub où coulent ses funky vibes, Voice lie le tempo des douceurs de sa voix qui en a tant connus sur la basse disco et le rhodes en écho. Son flot s'insinue dans tout les rythmes même les plus lents, talent acquis par de nombreux featuring avec Moonstarr, Wax Taylor, les Visioneers de Marc Mac et j'en passe, qui l'ont formée et rendue capable de tout. Je crois que c'est une de ses chansons à elle cette fois : « So Cold » de G Frequency donne une idée de comment elle peut sonner face à une trompette à la Miles, « hear more your mind ‘cause I'm the chaser » sur la batterie drum'n'bass et une échappée des pistons de la trompette vers les platines, puis se calme sur la basse funky et les claviers. Zeroklub, c'est vraiment la construction collective et instantanée d'un univers musical fascinant par les ambiances changeantes de vraies compositions à la fois lyriques et intégrant la violence moderne sans que l'une de ces tendances empiète sur l'autre, capable d'accueillir l'inattendu de Voice dont c'est « the first time with Zeroklub ».
« One Two Three Four Five, It's Joy » : chante Voice seule puis avec la rythmique, qu'elle suit avec ses bras, la trompette lyrique sur les riffs Hip-Hop, les groovy vibes résonnantes. Quoique plus entendue avec des DJ, Voice est merveilleuse avec ce backing live, la trompette racontant son histoire de pluie, de joie, de solitude individuelle, d'intemporelle Jazzyté qui reste, défie les modes et le temps, car son émotion est universelle, et Haessler est l'un des trompettistes à pouvoir encore en convoquer les sortilèges dans tous les contextes musicaux. Haessler esquisse quelques pas de danse tel Clifford Brown dans un orchestre de Boogie, quoiqu'à peine sorti du sarcophage de son premier accident de la route. Voice repart sur la platine rapide avec des langueurs à la « They Say » d'ONRA, encore présent dans la salle.