Le capitalisme ? Optimisation et évasion fiscales…
Nausée. Ainsi donc, depuis le début des années 1980, à l’abri des regards indiscrets, une puissante industrie mondiale de malins et de coquins de la finance globalisée organise ses petites tambouilles aux îles Caïmans, au Luxembourg, à Hongkong et ailleurs, où des «institutions» financières et des groupements d’avocats – des véritables cabinets noirs sans foi ni loi – offrent leurs services à des particuliers fortunés et aux multinationales capables de tout pour «optimiser» leurs profits… Dix-huit mois après les «Panama Papers», une nouvelle enquête d’ampleur portant sur environ sept millions de documents issus d’une fuite massive de données publiés par plusieurs journaux, porte un nouveau coup de projecteur sur les trous obscurs de la finance mondiale et révèle comment, grâce à des schémas sophistiqués, des milliers de milliards de dollars échappent toujours aux fiscalités des Etats et aux autorités dite «de régulation». Chiffres à l’appui. Ceux-ci donnent le vertige. Selon des calculs fiables et recoupés par Le Monde, l’évasion fiscale des entreprises et des grandes fortunes coûterait 350 milliards d’euros de pertes par an aux Etats de la planète, dont 120 milliards pour la seule Union européenne… Selon ces données, qui ont le mérite d’exister pour la première fois «officiellement», le manque à gagner pour la France atteindrait 20 milliards d’euros par an. Et pourtant, nous savons que ces révélations ne constituent qu’un bout de l’iceberg, d’autant que, contrairement aux «Panama Papers», cette nouvelle enquête concerne moins le blanchiment d’argent sale (trafics d’armes, de drogue, etc.) que des schémas légaux montés par des bataillons d’experts en optimisation fiscale. L’argent, ici, a le plus souvent été soustrait à l’impôt de façon légale ou aux frontières de la légalité, grâce aux failles des systèmes fiscaux dont les rouages donnent la nausée. Ils osent tout. Non seulement ils se goinfrent cyniquement sur le mode des pires sociétés secrètes, mais ils trichent et mentent. Leur quotidien s’appelle manipulation. Et leur crime se définit aisément: en réduisant les recettes fiscales des nations, ils accroissent les inégalités et alimentent l’instabilité financière mondiale. Le capital règne en maître. Lisez plutôt: à l’échelle internationale, plus de 40% des profits réalisés par les multinationales sont délocalisés artificiellement dans les paradis fiscaux, tandis que près de 10% de la richesse financière des particuliers s’y dissimulent. Disons-le sans façon: ils devraient être passibles d’un tribunal pénal international !
Evasion. Les sommes mis sur la place publique cette semaine sont colossales, bien sûr, mais bien en-deçà de la réalité. Sans forfanterie aucune, nous n’avons pas attendu le mois de novembre 2017 pour prendre conscience de la face cachée de cet innommable trafic de pognon qui se joue sur le dos du monde du travail. Les lecteurs de l’Humanitéconnaissent les travaux du député communiste Éric Bocquet et de son frère Alain, qui ont enquêté depuis plusieurs années sur l’évasion fiscale – souvent dans un désert médiatique, notons-le. Ces derniers parlent de 60 à 80 milliards d’euros pour la France, de 1 000 milliards pour les 28 pays de la zone euro, de 5 800 milliards dans le monde. Dans ce paysage sombre, il y a au moins une bonne nouvelle. Aucun spécialiste sérieux ne conteste plus ces évaluations. Ils n’ont pas tous les mêmes objectifs ou la même analyse sur le capitalisme, certes, mais ils disent la même chose : les chiffres sont éloquents. En effet, 80 milliards d'euros en moins pour le budget de la France chaque année, c’est plus que le budget de l’Education nationale, plus que le déficit de notre pays en 2016 et cent fois le montant des «fraudes» aux aides sociales, dont les principaux responsables restent d’ailleurs les chefs d’entreprise. Au passage, souvenons-nous de la métaphore d’Emmanuel Macron: «Les premiers de cordée», qui, soi-disant, tirent nos sociétés vers le haut ! Depuis leurs cimes, ces puissants-là ne tractent rien ni personne mais détournent le bien commun. «Le langage de la vérité est simple», disait Sénèque. Ce sont des salauds. Et nous ne sommes pas au bout de nos surprises…
[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 10 novembre 2017.]