Lettres de nulle part

Par Cameron

Je ne regarde plus les gens dans le métro. Je monte, puis la plupart du temps, je ferme les yeux pour le reste de mon trajet assez long, fermée au monde extérieur comme je le suis rarement dans les transports. Je ne regarde plus les gens, et cela m’étonne.

Il y a pourtant tant de choses à voir. Des détails si souvent, mais tellement beaux à observer l’un après l’autre, jamais dans le dessin complet d’un visage ou d’un corps, juste par petits bouts fractionnés pour avoir le loisir, ensuite, de recomposer un ensemble imaginaire. A voler des esquisses, station par station, j’avais la sensation de détenir un secret. J’ai perdu le désir de l’enrichir, ce secret. La faute aux matins trop vite alignés, sans doute, ou peut-être à l’heure qui court à ma montre et ne me laisse plus le loisir de vagabonder, ne serait-ce qu’en esprit. La faute à ma propre distraction, sûrement. Car il y a des trésors dans tous ces corps qui m’entourent, ces corps dont je n’apprécie jamais les courbes ni les angles, ces corps qui ne se sont pas physiques, non, certainement pas, ou qu’en tous cas, je ne regarde pas comme tels. C’est plutôt ce petit geste de la main, tu sais, qui vient chasser une mèche encore humide de la douche, et qui échappe à son propriétaire comme un morceau d’intimité. La façon dont cet homme, là-bas, assis presque chaque jour à deux rangées de sièges de moi, déplie et replie nerveusement son journal sans le lire. Et puis cette jeune femme qui se maquille entre les coups de freins du métro, elle était en retard, peut-être, elle se regarde dans son miroir de poche, et je la regarde se regarder, et tout à coup elle est belle. Juste belle.

C’est mon spectacle quotidien, mais en ce moment, je ne le vois plus. Je dors. Je dors de partir si tôt. Je ne retrouve mes sens qu’au sortir du métro, lorsque la rue s’ouvre devant moi, et alors que ma curiosité se réveille enfin, la promiscuité du transport éclate en pas rapides et fuites de toutes parts. De nouveau je suis seule, de nouveau les gens ne sont plus que des passants lointains. De nouveau leurs corps prend toute la place, ne me laissant plus le loisir de fixer un sourire en coin ni les cernes creusés sous tant de paires d’yeux, ni les petites manies que dévoile l’immobilité forcée du métro. Il n’y a que des anonymes autour de moi. Des anonymes comme moi.