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Véronique Olmi : Bakhita

Par Gangoueus @lareus
Coup de cœurBakhita, De Véronique OlmiPar Emmanuel GOUJON

Véronique Olmi : Bakhita

Véronique Olmi / copyright The superMat

Il y a de la Vénus Noire dans Bakhita. Le roman de Véronique Olmi sur la vie extraordinaire de cette petite soudanaise kidnappée à 7 ans dans les confins du Darfour pour devenir esclave qui sera canonisée par Jean Paul II le 1er Octobre 2000. L’un des points communs entre Bakhita et la Vénus Hottentote, au-delà du déracinement et de la curiosité souvent malsaine qu’ont rencontrée ces deux femmes africaines arrivées en Europe au XIXème siècle, c’est l’exposition. Dans le roman, on voit que toute sa vie sans jamais s’appartenir vraiment, Bakhita sera exposée aux autres, son histoire racontée dans ses plus sordides détails, ses sentiments négligés, sa cause silencieuse. Contrairement à Saartjie Baartman, Bakhita n’est pas exposée dans des foires, ne fait pas de spectacles privés pour de riches clients en mal d’émotions fortes ou dominés par des pulsions malsaines, elle ne finit pas non plus dans la prostitution la plus misérable. Mais Bakhita n’en est pas moins un objet utilisé à des fins qui ne sont pas les siennes.
Comme tous les esclaves, Bakhita perd son nom en même temps que sa liberté. C’est l’un des leitmotivs de l’ouvrage sensible et bien écrit de Véronique Olmi. Dès sa capture, elle oublie comment sa mère l’appelait. Elle se rappelle des câlins de son père le soir au coin du feu, des sourires de sa jumelle, de l’odeur de sa maman et de la douceur de ses baisers sur la nuque lorsqu’elle lui nattait les cheveux. Mais son nom est perdu… Sans doute parce qu’en devenant esclave, elle devient une chose, « abda », l’esclave, elle n’est plus une petite fille mais un bien meuble que l’on s’échange, qu’on utilise à sa guise, y compris dans les postures les plus humiliantes, qu’on frappe par habitude, pour se prouver que l’on existe et qu’il y a des plus petits que soi. Mais parce qu’elle est jolie, toujours on expose ou l’on convoite Bakhita.

Elle-même ne se voit que rarement. Pas de miroir, pas de reflet dans l’eau, seulement le regard des autres. Toujours sur elle. Rarement bienveillant. En Afrique, servante servile au service de maîtres veules et de maîtresses cruelles, même quand ce sont des fillettes, Bakhita tente avant tout de survivre. La chance lui fait rencontrer un consul italien qui décide de la sauver. Alors que Khartoum est sur le point de tomber aux mains de fanatiques rebelles, Bakhita fuit avec son maître à travers le désert. La servitude se fait moins sensible au fur et à mesure qu’elle approche de l’Europe, mais jamais, étrangement, on n’envisage l’affranchissement. En Europe, servante servile au service de maîtres absents et de maîtresses dépressive, elle est encore exposée, observée parce que noire. Les enfants la touchent d’un doigt humide et timide pour voir si elle tâche, une lingère refuse de laver ses draps, la « couleur du démon » dérange, même si tous, là aussi, la trouvent belle.

Pour Bakhita, l’amour semble impossible, et pourtant, Mimmina, petite fille qu’elle sauvera à la naissance sera la source d’une passion réciproque, mais lui sera arrachée. Un homme aussi, Stéphano, figure du père perdu, l’accueillera dans sa famille et sera le moteur de sa conversion au christianisme, de son émancipation et de sa rencontre avec Dieu, l’amant aimant toujours absent. En Vénétie encore, elle change de nom, on la surnomme (Moretta), on la baptise (Giuseppina), on la montre du doigt. Seuls les enfants, pour lesquelles elle a toutes les attentions – orphelins, miséreux, novices, domestiques --, sans doute parce qu’ils reflètent la fillette qu’elle n’a jamais été et partagent cette souffrance de la misère et de l’abandon, lui tiennent parfois compagnie et lui montrent des signes de tendresse. Car Bakhita est le plus souvent seule. Et quand elle commence à s’habituer à un lieu, à une personne, toujours on l’arrache à cette paix de la sédentarité choisie, même devenue bonne sœur, on la trimballe, on la montre, on l’expose.

« Elle rejoint sa vie d’avant, ses ancêtres et tous les parias de son espèce, les esclaves éternels, les Noirs pour toujours. Elle porte en elle cette malédiction et la fascination pour tout ce qu’on imagine d’elle et qu’elle n’est pas. Elle fait peur aux enfants, elle dégoûte les vieillards, et elle attire les hommes, comme une bête qu’on aimerait dompter pour tester sa propre puissance et révéler sa suprématie ». 
Pourtant, toujours, Bakhita veut vivre. Sa détermination est sa force. Lorsqu’elle rencontre Dieu, reconnaît Jésus, tué en esclave, petite part d’elle-même donc, elle fait le seul choix conscient de sa vie dans le roman : entrer dans les ordres.Mais même dans les couvents elle est instrumentalisée, exposée, pour lever des fonds pour les missions, contre l’esclavage. Elle doit raconter son « histoire merveilleuse » qui se vend comme des petits pains pendant des dizaines d’années. Elle sert d’exemple de la « barbarie africaine » dans la propagande mussolinienne qui tente de justifier l’invasion de l’Ethiopie. Une fois de plus sa vie lui échappe, elle ne s’appartient plus. Exposée, encore. Même sanctifiée, n’est-elle pas toujours exposée ?A part la mort, il n’y a qu’un seul moment de paix dans la vie romancée de Bakhita décrite par Véronique Olmi, un bref moment d’intimité avec une amie : 
« Bakhita jette un bref regard autour d’elle. Dans cette cour ombragée, près du verger, il n’y a personne. Elle prend la main qu’Elvira lui tend et sur la terre sèche elles font quelques pas de danse, maladroits et joyeux. Bakhita ferme les yeux et dans son sourire, Elvira lit son amour de la vie, un amour profond comme l’espoir. Une résistance ».
Bakhita, Véronique Olmi, 

Editions Albin Michel, Paris 2017, 455 pages.

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