Deux ans après son dernier opus policier, Fred Vargas poursuit les aventures compliquées du labyrinthique commissaire Adamsberg. Fred Vargas, c’est un style ; vous ne trouverez pas ici un synopsis de cinéma avec plans prédécoupés et action toutes les 42 secondes, comme il est requis dans le cahier des charges quasi publicitaire qui régit le fonctionnement des machines américaines. Il ne s’agit pas d’un thriller mais d’un roman qui prend prétexte du genre policier pour dérouler ses pages. Ce style ne convient donc pas à tout le monde ; notamment à ceux qui aiment l’efficacité, le seul présent et les récits pressés.
Le temps est lent, chatoyant, plein de retours en arrière. Il est illogique et sans but. Tout comme le cerveau d’Adamsberg, « pelleteux de nuages ». Ce penseur anarchique, plus intuitif que rationnel, avançant tel Montaigne par bonds et gambades, est commissaire par bon plaisir d’auteur plutôt que dans la vraie vie. Nous le verrions mal dans l’institution administrative et hiérarchique propre à la France réelle… Des personnages rencontrés dans certains livres précédents reprennent couleur ; d’autres pâlissent ou se mettent à l’écart. Le commissaire se trouve un nouveau fils tandis que la fille d’un subalterne explique l’acharnement de certains à contrer l’enquête. Sans parler des ambitions avides des apparatchiks de caste dont les dents sont très longues - des vampires sociaux, peut-être ? Enquête qui est celle d’un sens de filiation et du combat entre générations. Comment évoquer le temps sans parler des fils et des filles, des pères et grand-pères ? Est-ce le karma appliqué à la civilisation européenne ? Le Mal d’un jour apparaît comme le Mal toujours. Des siècles et des générations plus tard – comme dans la Bible.
Ce roman à prétexte policier prend donc le temps pour fil. Le temps européen, d’un village de Serbie presque hors du temps à la ville de Londres en pleine coopération européenne, en passant par une banlieue plutôt chic de Paris, conservatrice donc se voulant hors du temps. Mais celui-ci se venge par un meurtre bien spectaculaire ! Il s’agit du temps des mythes, qui ne se laisse pas découvrir avec loupe et pincette, à la Sherlock Holmes ; ni par l’agitation des petites cellules grises à la Hercule Poirot ; ni même par l’imprégnation sociologique à la Maigret ou à l’empathie à la Peter Robinson. Il s’agit du ‘temps Vargas’ – décalé, à part dans la production contemporaine, un temps propre à tout ce qui a tissé la personnalité baroque de l’auteur. Si l’on s’ennuie parfois dans certaines enquêtes précédentes, celle-ci est suffisamment resserrée pour que les spéculations Dada d’Adamsberg avancent - avec l’action qui le provoque et l’emporte malgré lui. Le lecteur suit, le style prend, le roman marche. Pour qui a aimé les précédents, voilà un bon cru Vargas.
A lire dans la maison de campagne plutôt que sur la plage peut-être, les spéculations un tantinet d’escalier dudit commissaire souffrant peu l’inattention ou le dérangement alentour. Elles sollicitent la mémoire – ce temps biologique. Avec Fred Vargas, on n’échappe jamais au temps…
Fred Vargas, Un lieu incertain, Viviane Hamy, juin 2008, 385 pages.
D’autres notes sur Fred Vargas dans Fugues & fougue :
Fred Vargas et la France éternelle
Fred avant Vargas
LES COMMENTAIRES (1)
posté le 23 juillet à 08:41
Dans ce nouveau roman de Fred Vargas, l'auteur revient, à travers ses personnages désormais fétiches, sur les origines du mythe du vampire.
Un polar efficace, intelligemment construit et surprenant où Adamsberg et ses acolytes ne seront pas au bout de leur peine.
Une autre chronique est disponible ici : [http://blog.vampirisme.com/vampire/?331-vargas-fred-un-lieu-incertain->http://blog.vampirisme.com/vampire/?331-vargas-fred-un-lieu-incertain]