Après We Need To Talk About Kevin, Lynne Ramsay continue de suivre les pérégrinations de ses anti-héros mi-psychopathes mi-justiciers dans l'ombre des grandes villes américaines. La cinéaste écossaise dépeint un tableau cauchemardesque des États-Unis à la couleur rouge sang agrémenté d'humour noir.
Une nuit, Joe rentre chez lui tard, sa mère est devant la télévision, encore sous le choc d'avoir regardé Psychose d'Alfred Hitchcock. Pour jouer, il se penche aussitôt vers elle en faisant semblant de la poignarder et entonne le crissement des violons emblématiques de la scène de meurtre. Cette attitude surprend car, sans que sa mère ne le soupçonne, Joe est lui-même un déséquilibré mental. Comme Norman Bates, il cumule une série de traumatismes depuis son enfance jusqu'à son expérience dans l'armée américaine. Joe est devenu tueur à gage et a fait ainsi de son mal sa profession. La cinéaste filme le néant de son quotidien : chez lui lorsqu'il s'occupe de sa mère âgée, au supermarché où il achète ses " outils " de travail et dans sa chambre où il effectue plusieurs vaines tentatives de suicide. Tout en créant une atmosphère oppressante, Lynne Ramsay se détourne des stéréotypes associés à une telle histoire.
Dès l'instant où Joe est chargé de retrouver Nina, la fille d'un homme politique influent, kidnappée par un réseau pédophile, le film plonge davantage dans le cauchemar. La musique de Jonny Greenwood ( Radiohead), ainsi que le travail sur la bande sonore du film renforcent cette ambiguïté entre songe et réalité. Dans une scène, Joe tue un par un les hommes chargés de surveiller les chambres de la maison close où est enfermée Nina. Une mélodie fifties se distingue en fond sonore et contraste avec le massacre qui s'opère. Le doute subsiste sur la source de cette musique. Est-elle seulement dans la tête de Joe ou correspond-t-elle à une musique d'ambiance de l'immeuble ? Cet air fait non seulement entrevoir la folie dévastatrice du personnage mais laisse aussi planer une certaine ironie vis-à-vis de la situation : le mal se soigne par le mal, dans l'indifférence d'un quartier chic de New-York.
Des apparences trompeuses
Lynne Ramsay se plaît à jouer avec les apparences trompeuses. Nina n'est pas une jeune fille sans défense, de même que Joe ne devient pas soudainement un valeureux justicier. Ekaterina Samsonov et Joaquin Phoenix campent des rebelles absolus, portés par une fureur irrépressible contre le " rêve américain ". Sans but, ils dérivent vers une rédemption insolite, en marge d'une quelconque norme. Malgré un suspens un peu long, Lynne Ramsay frappe de part la radicalité du point de vue qu'elle donne à voir et qu'elle fait accepter grâce à un humour incisif.
Récompensé des prix du meilleur scénario et du meilleur interprète masculin au festival de Cannes, A Beautiful Day est issu d'une même volonté entre une cinéaste et un acteur : montrer le versant de la recherche du bonheur via des personnages marginaux. Le film crève l'abcès de certaines représentations figées du bien et du mal. L'impertinence n'est donc pas ici une simple posture mais un véritable moyen d'interroger les idées préconçues. Cela n'est peut-être pas toujours agréable à regarder mais l'expérience est jubilatoire.