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Dans la famille Croque Mort : chronique d’une passation

Publié le 06 novembre 2017 par Daniel Leprecheur

C’est cette réalité de la passation que filment les réalisatrices Valérie Deneste et Anne Peyregne. Nous sommes en 2015 et Dans la famille Croque Mort vient compléter un premier film tourné vingt ans auparavant par Arte, intitulé Les Passeurs. Déjà on y voyait Bernard et ses deux frères gérer le dernier voyage de leurs concitoyens ; déjà Bernard emmenait ses enfants dans les locaux du funérarium pour qu’ils y découvrent la réalité de la mort, les arcanes du métier, avec l’espoir qu’ils prennent un jour sa succession. Et les trois petits de se montrer peu enthousiastes, nullement désireux d’hériter du business de papa.

Mais il ne faut jamais dire jamais : à l’âge adulte, la fratrie s’est investie dans la modernisation de la structure, désormais assortie d’un crématoire écologique. Réception des familles, mise en place des obsèques, gestion des contrats, de la comptabilité, entretien technique, interaction avec les thanatopracteurs, les hôpitaux, la mairie, le marbrier, nous découvrons, séquence après séquence, que leur travail excède la préparation des morts et leur mise en terre, leur crémation. Des gestes qu’ils pratiquent néanmoins avec une précision, une humilité, un respect poignants, tout en gardant en tête qu’ils dirigent une entreprise avec ses impératifs de rentabilité.

Un équilibre délicat, quand il s’agit d’encaisser les retards de paiement d’un client qui refuse de régler ses dettes alors que d’autres familles, plus précaires, s’en acquittent avec sérieux, quand on doit un jour prendre en charge la dépouille d’un enfant mort-né, dont le cercueil a la taille d’une boite de poupée, quand il faut soutenir des personnes endeuillées, guider des individus qui, prévoyants, préparent leur dernier voyage à l’aide d’une assurance obsèques pour soulager leurs proches et s’assurer de leurs dernières volontés. Autant de personnes que les Girard connaissent, qu’ils tutoient pour certains, des voisins, des amis.

Progressivement, ce n’est plus la simple passation d’une agence funéraire qui nous est montrée, mais la préservation d’un patrimoine, d’une mémoire : celle d’une famille certes, mais aussi d’une communauté, dont les morts passent obligatoirement entre les mains de ces Parques modernes pour rejoindre l’au-delà. Sans jamais juger, avec le désir de respecter ceux qui leur confient leur défunt, les Girard perpétuent les rituels, tout en observant l’avenir, s’ouvrant aux tendances émergentes, aux nouveautés, tandis que le père, incapable de dételer, continue à superviser cette institution qui est sa vie.

En une heure, les réalisatrices, avec pudeur et pertinence, évoquent les problématiques de cette passation, de cette préservation, dans le cadre d’une entreprise indépendante, à l’heure d’une concurrence féroce avec les grands groupes, les enseignes privées qui confisquent le secteur, dictant leur loi sur les process, les tarifs, les méthodes. On comprend au travers de ces images que l’on ne peut brader le cœur de ce métier, qui reste  l’humain, dans ce qu’il a de plus fragile, de plus éphémère, de plus angoissant. Proximité, dignité, empathie, retenue, discrétion, équilibre, distanciation, l’agent des pompes funèbres doit posséder ces qualités, tout en étant visionnaire, à l’écoute des problématiques de ses clients, du secteur en général.


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