« Une mort magnifique » de Ameth Guissé

Publié le 06 novembre 2017 par Joss Doszen

"Un effroi sans fin, voilà ce qu’est devenue la vie de Sandiéry, lui qui, toute son existence durant, n’a cherché que le pouvoir et les moyens s’y attenant. Dans cette entreprise, tous les procédés étaient bons : la cupidité, la trahison, l’accaparement... aux seules fins de satisfaire ses besoins de luxe et d’entretenir son niveau de vie et celui de sa famille. Sa mort s’annonçant dans un rêve profond et ouvrant sa "boîte noire", elle lui restitue alors tous ses écarts, ses lâchetés... et le met face à sa conscience, ce tribunal qu’il redoutait tant."

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Sandiéry est mort. Du moins aux yeux des autres. Son âme semble être sortie de son corps et observe ceux qui lui ont survécu. Puis, l’auteur, Ameth Guissé, nous amène dans une balade esotérico-spirituelle de cet homme qui refait le cycle de sa vie, de ses échecs, ses défaillances et qui semble porter sur ses épaules toutes les misères causées au monde.

« Aucun désespoir ne doit conduire une personne à se donner la mort, parce que la vie est un don de Dieu et il n’est pas de la responsabilité de l’homme d’y mettre un terme. Le suivi extirpe l’âme d’une manière trop brutale, voir même trop accidentelle si bien qu’elle ne trouve plus les moyens d’aller vers la gravitation, sa raison d’être. Seule la mort naturelle permet de recueillir l’âme, parce qu’arrivant au terme de sa phase d’évolution. Le suicide estompe cette progression, voile cette lumière qui conduit à la divinité. »

Le Sénégal est un pays de littérature, un pays dont la marque de Senghor est dans l’esprit de tout aspirant écrivain. Le désir de bien écrire qui caractérise les auteurs sénégalais est donc bien présent chez Ameth Guissé. Sans être époustouflant, l’écriture est maîtrisée et plutôt plaisante. On sent chez l’auteur une lecture assidue des auteurs classiques. J’aime cette écriture.

La narration par contre est un peu fouillis. On se perd parfois, il y a de la redondance qui aurait mérité coupure mais, le gros bémol, c’est qu’au tiers du livre, l’intrigue ne décolle toujours pas. On reste dans les atermoiements interminables d’une âme qui s’apprête à faire le grand voyage. Au lieu de garder ce regard aérien sur ses proches, comme élément d’analyse de la société, l’auteur s’enfonce dans une espèce de préchi-précha qui ne semble pas reprocher au personnage seulement sa vie occidentalisée (marié à une franco-marocaine, ses enfants ont tous des prénoms chrétiens et il établit une distance d’avec sa famille), mais aussi sa vie en tant que laïc et la distance qu’il a maintenue d’avec la religion. Ça donne plusieurs pages d’une espèce « d’évangélisation » (je n’ai pas l’équivalent pour l’islam car « islamisation » est désormais trop connoté) du personnage, de mea culpa de l’esprit qui rencontre ses parents défunts...
Ameth Guissé semble avoir pour seul projet une dénonciation de "l’occidentalisation" des sociétés sénégalaises qui semblent vouées aux gémonies à cause de la "toubabisation" de ses intellectuels. La critique contre cette société occidentale qui corromprait les traditions est tellement caricaturale et excessive qu’elle en devient, vraiment, contre-productive.

« Rabissatou Adélaïde a manqué à ce rôle et a installé Sandiéry dans une marginalité inconfortable. Son ascendance sur son mari du fait du complexe de race développé par ce dernier, l’autorise à décider de toutes les relations de celui-ci. »

Bref... ce bouquin si bien écrit me gave de ces réflexions philosophico-religieuses tirées par les cheveux. En plus, ce mort de Sandiéry semble être tenu pour responsable de la mort de la moitié de son village, au moins, apparemment, parce que riche à million et qu’il a fait un choix de vie différent.
Sa S.. de femme franco-marocain (de la bourgeoisie normande) étant responsable de toutes les misères. Évidemment.
Alassane se suicide parce que foutu dehors devant ses amis, avec lesquels il s’était invité dans la maison de son frère.
La sœur Astou morte par défaut de soin, c’est évidemment la faute de ce riche frère qui n’a pas déboursé tout l’argent qu’il fallait.
Le frère Aly, ruiné par des usuriers ; Sandiery est coupable car il ne lui avait pas donné d’argent pour monter son affaire.
Le frère Amadou, mort pauvre d’avoir attendu toute sa vie un emploi de la part de Sandiéry le messie.
Le frère Souleyman, devenu fou et mort d’avoir attendu un visa des US de la part de... Sandiéry !

L’auteur met en scène le défunt père qui joue le rôle de « tribunal de l’âme » de Sandyeri et qui allonge une liste impressionnante de malheurs qui seraient uniquement dû au rejet de la culture et de la religion.
Plutôt qu’une mise en lumière de la qualité des traditions ou du bénéfice qu’apporte la religion, cette descente en flamme du laïcisme donne surtout l’impression que l’auteur met en avant une Afrique qui veut vivre en sangsue sur le dos de ceux qui ont réussi, qui n’accepte pas ses responsabilités dans ses propres malheurs et échecs ; c’est toujours la faute de l’autre. Et de préférence ce noir « toubabisé  » et mauvais musulman. Le pire c’est la mesquinerie qui fait qu’en face de tous les « manquements » de Sandiéry on lui oppose une faveur qu’il aurait fait à la belle-famille. Mesquin.

Puis, en seconde partie du roman, un retournement de situation, totalement tiré par les cheveux, nous tombe dessus. Entre incohérences dans la psychologie du personnage ou des circonstances (la femme censée être issus de la grande bourgeoisie normande, mais plus tôt il est dit que Sandiery les aide beaucoup financièrement) et une espèce de mélange entre révélation en mode Paul de Tarse et apparition d’une mystique "gris-gris" clichée comme jamais.
Bref.
Ce, pourtant bien écrit roman et qui a parfois des élans philosophique et poétique de très belle facture, part dans tous les sens et il m’est tombé des mains à de multiples reprises.
A découvrir, peut-être, pour ceux qui aiment les récits ésotériques ou spirituels.


« Une mort magnifique »

Ameth Guissé

L’Harmattan Sénégal