Le narrateur a plus d'un trait commun avec l'auteur. Tous deux sont nés en 1945, tous deux ont eu la fugue comme mode de vie, tous deux ont arpenté les rues de Paris et se souviennent, quelque cinquante ans après, de leurs apprentissages, entre 1962 et 1967.
Patrick Modiano réveille ainsi les Souvenirs dormants d'un septuagénaire d'aujourd'hui, un des mille sosies de lui-même, qui note, méthode éprouvée, des bribes qui [lui] reviennent dans le désordre, listes de noms ou de phrases très brèves:
Au cours de ce travail que l'on fait à tâtons, certains noms brillent par intermittence tels des signaux qui vous donneraient accès à un chemin caché.
Des livres sont pour le narrateur d'autres repères:
- Le temps des rencontres, trouvé sur les quais: J'ai longtemps été persuadé que l'on ne pouvait faire de vraies rencontres que dans la rue.
- Le dictionnaire des sciences occultes et À la mémoire d'un ange, offerts à une femme rencontrée, vers dix-sept ans, à Paris, qui s'intéressait comme lui à ces sciences-là: Ce n'était pas pour me plier à une doctrine ou devenir le disciple d'un gourou, mais simplement par goût du mystère.
- Rencontres avec les hommes remarquables, placé entre cette femme et lui par une autre femme: Je n'ai jamais cherché, comme beaucoup de gens de mon âge, à rencontrer les quatre ou cinq maîtres à penser qui régnaient en ce temps-là sur les estrades universitaires...
- Essais sur le bouddhisme zen et Le Rite sacré de l'amour magique, offerts par une troisième femme: Je les ai toujours depuis cinquante ans et je me demande pourquoi certains livres et certains objet s'obstinent à vous suivre à la trace toute votre vie, à votre insu, alors que d'autres, qui vous étaient précieux, vous les avez perdus.
- L'Éternel retour du même, trouvé dans une librairie des sciences occultes, qui l'avait fortement fait réfléchir: À chaque page, je me disais: si l'on pouvait revivre aux mêmes heures, aux mêmes endroits et dans les mêmes circonstances ce qu'on avait déjà vécu, mais le vivre beaucoup mieux que la première fois, sans les erreurs, les accrocs et les temps morts... ce serait comme de recopier au propre un manuscrit couvert de ratures...
- Les rêves et les moyens de les diriger, l'un de ses livres de chevet, sous l'influence duquel, dans certaine circonstance angoissante, il écrit: Je me sentais de plus en plus calme et je respirais de manière de plus en plus profonde, sans aucun de ces efforts de concentration que l'on fait d'habitude au cours des exercices de yoga.
À la manière d'un détective qui reconstitue ce qui s'est passé à partir de quelques traces laissées, le narrateur, qui se confond peut-être avec l'auteur (le lecteur ne le sait qu'à la fin), se sert donc de noms de personnes, de phrases très brèves, de livres marquants, pour redessiner l'itinéraire suivi par lui pendant cette période de cinq ans.
Mais est-ce le bon chemin? Comme il le dit, à propos d'un autre parcours: Dans vos souvenirs se mêlent des images de routes que vous avez prises et dont vous ne savez plus quelles provinces elles traversaient.
Francis Richard
Souvenirs dormants, Patrick Modiano, 112 pages Gallimard
Article précédent sur l'auteur:
Patrick Modiano à Stockholm (8 décembre 2014)
Livres précédents:
L'herbe des nuits, 192 pages (2012)
Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier, 160 pages (2014)