C'est encore plus prégnant avec E-passeurs.com dont le titre en lui même est signifiant. L'auteure situe la pièce à un moment de l'histoire où les Nations-Unies, comme les pays, n'existent plus. Subsistent les frontières en se redessinant chaque jour en fonction des catastrophes de toutes natures. Les richesses et logements appartiennent à seulement 1% de la population. Les 99% autres sont devenus des réfugiés qui errent en fonction des conflits et des catastrophes écologiques, politiques, climatiques, et des conflits armés...
Sedef Ecer est très sensible à ce qu'on désigne sous le nom de "crise des migrants". Elle estime que nous sommes allés très loin dans l'indifférence et a essayé d’imaginer une histoire qui va encore plus loin ... pour mieux nous sensibiliser.
Elle nous fait entrer dans l'intimité de trois femmes, trois errantes parmi ces milliards d’apatrides numériques, Anaba la Guatemaltèque, Hoa Mi la Vietnamienne et Zeynab la Syrienne à travers leur cyber-identité. Nous les suivons à travers les traces qu'elles ont laissées sur le net. Elles sont magistralement interprétées par une seule et même actrice, Estelle Meyer, et finiront par se rencontrer un jour enfin, dans un train, dans la vraie vie.
Les objets connectés ont pris la place des humains, annonce le porte-parole de l'ONU. Car il est devenu l'outil essentiel parce que c'est le sésame pour être en connexion en toutes circonstances. Les gens l'utilisent pour trouver leur route par Google map, solliciter leur passeur par WhatsApp, prendre des nouvelles de leur famille par Skype, suivre l'actualité politique avec Twitter, regarder les photos sur Instagram et surtout liker régulièrement tous leurs "amis" sur Facebook !
Le personnage du passeur (Fehmi Karaaslan), mi-dieu, mi-diable, vêtu de noir, maquillé de rouge, est le seul homme réellement puissant, de par le contrôle qu'il exerce sur les connections des exilés-réfugiés, en prétendant offrir davantage de sécurité que les (anciens) passeurs malhonnêtes.
Il n'y a plus de "chez nous" ni de "chez eux". Nous sommes tous entremêlés annonce-t-il comme une prédiction. Rentrer chez soi ne voudra plus rien dire et pourtant on verra plus tard combien c'est le souhait de Hoa Mi de rentrer ... à condition de parvenir à récupérer son passeport.
Un musicien percussionniste, lui aussi en noir, sera successivement musicien, comédien, coryphée, proxénète (il endosse le rôle de Léo) et même un temps l’archéologue Djihad, victime du conflit syrien.
Tout cela fait froid dans le dos malgré quelques lueurs d'humour quand on devine que le premier passeur de l’histoire, auquel Sedef Ecer fait allusion est .... Moise ou qu'on apprend que le plus grand nom de l’histoire du numérique, Steve Jobs, est le fils d’un émigré syrien. L'espoir conduit malheureusement trop systématiquement à la violence. On est dans une dystopie mais cela pourrait devenir réalité. Le texte a été publié (à la suite de Lady first) par l'Avant-Scène Théâtre et il faut le lire, avant ou après avoir vu la pièce, pour ne pas céder à l'indifférence.
Texte et mise en scène Sedef Ecer
Texte édité à L’Avant-Scène Théâtre, 2016
Avec Richard Dubelski (percussions et voix), Fehmi Karaaslan, Estelle Meyer et l’aimable participation de Mathilda May à l’écran.
Musique originale et percussions : Richard Dubelski
Vidéos : François Roman et Mümin Güve
Scénographie : Sedef Ecer et Leyla Okan
Costumes : Leyla Okan, Lumières : Yüksel Aymaz
Jeudi 19 et vendredi 20 Octobre à 20 heures
Musée National de l'Immigration - Auditorium Philippe Dewitte
Palais de la Porte Dorée - 293, avenue Daumesnil - 75012 Paris
Le spectacle reviendra en région parisienne le 9 mars à Suresnes, au Théâtre Jean Vilar - 01 46 97 98 10