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Il n'est de pire lâche que celui qui abandonne les siens.
CHRONIQUE (SIWEL) — « Si, par hasard, Sur l’Pont des Arts, Tu croises le vent, le vent maraud, Prudent, prends garde à ton chapeau« . G. Brassens
Sarah Haidar* n’est pas une simple journaliste qui vous pose des questions pour noircir les colonnes d’un canard, elle vous psychanalyse au pied levé. Quand vous vous en rendez compte, il est déjà trop tard.
Idir débarque à Alger et s’encanaille tout de go, ce qui est un pléonasme, j’en conviens. Se faisant célébrer par la racaille du régime, cela a eu pour effet de ramollir momentanément son beau cerveau. C’est juste après cela, va savoir comment, il se retrouve sur le divan de Sarah Haidar.
Sarah Haidar, pour celles et ceux qui ne la connaissent pas, est un bon bout de femme au cerveau en perpétuelle éruption. Certains vont même jusqu’à dire qu’elle pratique la magie noire et le yoga cabalistique. Derrière ses traits de chérubin, son regard de faon vous piège et vous pétrifie comme celui d’une Gorgone.
C’est donc tout logiquement qu’Idir devient, face à elle, un livre ouvert.
« J’ai vécu longtemps avec la panoplie du parfait petit contestataire mais, ayant été déçu par certains «compagnons» de combat avec qui je ne partageais plus grand-chose, je me sentais de plus en plus acculé et seul, si bien que je me suis dit qu’il était peut-être temps de revenir. »
« La panoplie du parfait petit contestataire », « lâché par tous », « acculé et seul » (!)
Mais pourquoi Idir va-t-il jusqu’à dénigrer son propre combat et s’ériger en victime pour justifier qu’il se déjuge par le fait de se produire en Algérie ?
« Seulement, au bout d’un certain temps, je me sentais dans la peau d’un Don Quichotte se battant seul contre des moulins à vent : ceux avec qui j’ai mené un bout de chemin ont fini par fléchir et prendre une autre voie, diamétralement opposée aux principes de départ. »
Pour les besoins du premier rôle du scénario, Idir crée le désert autour de lui. De quel combat parle- t-il exactement ? Celui-ci n’était-il pas de porter la voix de l’amazighité à travers ses chansons ? Par qui a-t-il donc été lâché et laissé seul ? Était-il dans un groupuscule berbériste secret ? Pourquoi a-t-il besoin de se décrire ainsi ?
Idir déclare ni plus ni moins être le dernier des Mohicans, le dernier combattant berbériste en exercice qui annonce prendre sa retraite de rebelle. Mince ! Mais alors qu’allons-nous devenir ? Pour celles et ceux qui envisageaient une telle carrière, il va falloir qu’ils se rabattent sur d’autres filières et surtout d’aller à Alger où la mangeoire est ouverte. Pour ceux qui ont déjà entamé une carrière de rebelle, un dispositif de dédommagement sera mis en place; en attendant ils peuvent déjà se rendre à cette foire aux sornettes qu’est le SILA où un stand leur est dédié.
S’il le dit c’est qu’il le pense; il dévoile des aspects insoupçonnables de sa personnalité qu’il cachait bien jusque-là sous le masque d’une infinie modestie, tombé en miettes devant les yeux de biche de Sarah Haidar..
Dans la même logique il approfondit et s’enfonce: » … pour le reste, le combat a cessé depuis longtemps, faute de combattants. Aujourd’hui, c’est le nivellement par le bas, la remontée des bas instincts où un Algérien traite un compatriote de «Ânegérien» ! Je n’ai rien à partager avec ces gens-là. Il me reste alors la musique (…) »
Là, Idir nous rabroue et nous renvoie à nos pénates en décrétant la fin du combat. Il faut comprendre que le combat c’est lui et comme il se retire ….ben… il n’y a plus de combattants.
Et que se rhabillent tous ces Kabyles, jeunes et moins jeunes, femmes et hommes qui remplissent les rues pour revendiquer la liberté pour la Kabylie !
Ne s’arrêtant pas là il rajoute :
« Pire, quand on voit ce qui se passe chez une certaine frange de militants, on se rend compte qu’il y a un vent de fascisme qui souffle à l’horizon« .
Idir, que se passe-t-il ? Cette frange de militants kabyles est-elle en train d’égorger les Arabes, de violer des femmes, de détruire des lieux de cult(ur)es, d’organiser des pogroms en scandant : Alayha namout wa Alayha nahya ?
Enfin pour clore ce chapitre il nous transporte …« nous ne sommes plus dans les mêmes références qui ont prévalu lorsque nous menions un combat tout beau et tout innocent ! »
Mais, quand et où a-t-il eu lieu ce combat « tout beau et tout innocent » ? Au coin du feu, dans une cabane chez nous à At Yanni ou sur les plages d’Azzefoun autour d’un feu de joie, le joint au bec, les corps nus et les cheveux dans le vent ? Et moi qui me suis laissé ronger par la culpabilité des décennies durant pensant que mes aînés, croupissaient dans les geôles de la sinistre police politique… ! Je ne sais si c’est Francis Cabrel qui déteint sur lui, mais pour Idir c’est certain, » C’était mieux avant « .
Mais bon sang ! Pourquoi ne dit-il pas simplement qu’il est libre de faire ce qu’il lui plaît ?
Non ! Visiblement, il a une haute opinion de lui-même. Son encanaillement, il l’endosse aux autres ! C’est la suite logique de la lâcheté des autres, de la trahison des autres, … du fascisme de ses frères…
Idir se lâche et déborde sur la scène » internationale » mais calmons nous…! Il ne dit pas son amour de la cause kurde ou celles des Intouchables de l’Inde, Idir s’attaque aux « sionistes » ! Enrico Macias en prend pour son grade, lui qui « dégouline de sionisme ». Il va jusqu’à regretter son duo d’avec lui, pendant que Patrick Bruel est lavé de tout soupçon. Car Idir est pro-palestinien et ne badine pas avec cette cause. Visiblement il cherche à plaire et à ratisser large : Quand on sait l’amour fou pour la Palestine, conjugué à la haine encore plus folle d’Israël et des juifs, injectés à doses astronomiques dans le biberon des Algériens, quand on sait que les kabyles sont déclarés « juifs-sionistes » par les tenants de l’arabo-islamisme, Idir ne fait que montrer patte blanche devant ses hôtes de circonstance, et se démarque de Ferhat qui commet le pire des crimes en affichant son amitié à l’égard d’Israël et de son courageux peuple.
Idir se fait enfin météorologue et nous annonce qu’ un « vent de fascisme se lève à l’horizon »! C’est vrai que jusqu’ ici, ce pays baignait sous un soleil euphorique de démocratie toute innocente.
Il oublie qu’il nous l’annonce depuis la capitale d’un État presque théocratique où l’islam ne tolère aucune concurrence. Au nom de ce dogme, l’homosexualité, la fornication, le mariage interreligieux, la non-observance du rite malékite… sont punis sévèrement. Idir se rappelle-t-il qu’au moment où il se donne en spectacle ainsi, telle une bête de cirque, Slimane Bouhafs, Merzoug Touati et Baba Nedjar croupissent en prison pour délit d’opinion et de religion ?
En y ajoutant la justice aux ordres, la généralisation de la corruption et des passe-droits, l’arabisation et la répression en Kabylie, Idir ne s’aperçoit-il pas qu’il est l’invité du fascisme en personne ? De quel Etat de grâce est-il donc sous le charme ?
Par cette grotesque tentative de récupération du flamboyant symbole kabyle qu’est notre grand talent, le pouvoir ne cherche rien d’autre que la reddition de la Kabylie, contraindre celle-ci à mettre genou à terre, même s’il sait d’avance qu’il va échouer. Un précédent cas similaire ne lui a servi strictement à rien.
Si en 2001, en bravant les balles et non les moulins à vent, les Kabyles scandaient « Ulac smah Ulac ! », ce n’était pas par amour des refrains, mais par serment fait à ceux qui se sont sacrifiés pour notre dignité ; serment que personne n’a le droit de rompre.
Cher Idir, et chers lecteurs,
A votre prochaine séance chez Sarah Haidar, qui, ne l’oublions pas, n’a pas le droit d’exercer la psychanalyse, surtout évitez de la regarder dans ses yeux de Méduse et pensez à mettre dans votre biberon marxiste quelques gouttes d’indépendantisme kabyle. Cette mixture ou cette potion magique, en cette saison tempétueuse, vous prémunira à coup sûr contre bien des délires et vous évitera bien des déboires !
La prophétie, assurait que Don Quichotte créé à Alger, est d’y retourner un jour. Dont acte.
Pour m’assouplir un tant soit peu le cerveau après cet improbable exercice de chronique, je vais me trémousser sur « On the road again », mon morceau préféré du formidable dernier opus de notre grand talent. Comme dirait Mammeri, le reste n’est que littérature.
Chronique humoristique par Olivier Graïne, sculpteur monumental kabyle
*Sarah Haidar est une talentueuse journaliste et écrivaine kabylo-algérienne, elle a à son actif deux romans en langue française à lire absolument: « Virgules en trombe » et « La morsure du coquelicot« .
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