La réalité du petit milieu de l'art contemporain n'est donc rien d'autre que l'effort désespéré d'une bourgeoisie déclinante pour recréer un entre-soi protecteur. Elle lui permet d'investir les anciens palais royaux pour organiser des fêtes beuglantes ou de décapiter les statues équestres des princes du passé par des manoeuvres maladroites d'engin de levage. C'est l'incurie et l'iconoclastie maquillées en créativité et lestées de discours abscons sur la nature de l'art. C'est une économie culturelle alourdie de projets fumeux et de délires de communicants envahissant le Net.
L'anti-héros qu'on voit évoluer ne parvient pas à se libérer entièrement de la chape de plomb de ce conformisme même s'il est de plus en plus tenté de le faire, y compris violemment.
Et la "performance" ou un artiste joue parfaitement le rôle de l'homme-singe, du primate agressif lâché au beau milieu des bourgeois repus, est un vrai moment d'anthologie. Après avoir regardé leurs chaussures pendant que leurs femmes menaçaient d'être violées, ils finissent par retrouver une dynamique de meute tout à fait meurtrière quand la coupe est pleine et que quelques uns décident enfin de résister. Comme elle est fine la pellicule qui sépare la bestialité de l'hédonisme décadent !
"The Square" est un film drôle, constamment original et innovant qui traite de sujets en réalité très graves. Quand tout finira par tourner vraiment mal et que les Occidentaux retrouveront leurs instincts de protection vitale dans la panique et la violence, le film de Ruben Östlund restera sans doute comme une oeuvre prémonitoire.
Bravo en tout cas à Almodovar de l'avoir choisi pour la Palme d'or alors que le petit milieu du cinéma espérait glousser d'aise en voyant récompensé un énième film bêlant sur le merveilleux courage de militants "progressistes", ceux d'Act up en l'occurrence.