Cryogénisation : Quelques définitions
Les études et les articles consacrés à ce phénomène utilisent indifféremment les mots « cryogénisation », « cryonie », « cryogénie » ; il semble important de faire le point sur la signification de chacun de ces termes afin d’y voir plus clair.
Selon le dictionnaire Larousse, la cryogénisation signifie l’ « action d’abaisser la température d’un organisme vivant à −190 °C et de l’y maintenir dans un dessein de conservation ». Il a pour synonyme l’expression « cryonie ». Ce nom commun est construit à partir du terme grec ancien krúos qui désigne le froid.
- Il ne doit pas être confondu avec :
- la cryologie ou l’« ensemble des disciplines scientifiques et techniques s’intéressant aux cryotempératures ».
- la cryogénie ou « production de cryotempératures ».
- Les cryonistes sont les thanatopracteurs spécialisés dans cette technique de conservation, et plus largement les adeptes désireux de subir ce traitement.
- Les anglo-saxons utilisent le terme « cryonics » pour désigner à la fois la cryonie, ses partisans et ceux qui ont subi ce mode de gestion du corps.
De la science fiction à la réalité
La cryogénisation est un thème récurrent de la littérature et du cinéma d’anticipation, mais elle devient véritablement un projet scientifique avec La Perspective de l’immortalité, essai écrit par le physicien et universitaire américain Robert Ettinger en 1962, qui en évoque les perspectives.
C’est un des sujets phares du transhumanisme, courant de pensée qui prétend utiliser les progrès de la science afin d’améliorer l’humanité, de repousser ses limites et d’augmenter ses capacités physiques et intellectuelles. L’universitaire James Bedford fut le premier à être ainsi conservé, en 1967, suivi par d’autres célébrités comme la star du baseball Ted Williams.
Le principe de base de la cryogénisation repose sur l’idée que la mort n’est pas un événement ponctuel et terminal mais un processus qui peut être interrompu.
L’idée est donc de conserver un individu décédé et de le réanimer dans un futur plus ou moins éloigné, quand les progrès scientifiques et techniques permettront à la fois de le ramener à la vie et de soigner la maladie dont il est mort.
« À l’heure actuelle, il y aurait près de 300 personnes cryogénisées dans le monde… »
Ce traitement ne peut être effectué que sur une personne défunte ; il est pour l’instant formellement interdit par la loi de cryogéniser un être vivant. Aux USA, on exige un certificat de décès. Cependant les adeptes de cette pratique militent énergiquement pour modifier le cadre légal et intervenir sur des personnes encore de ce monde, cela afin de conserver la qualité des tissus.
Accepté dans des pays comme les USA ou la Russie, la cryonie est prohibée en France, suite à un arrêt du Conseil d’État en 2006 dans le cadre de l’affaire Martinot : ce médecin, soutien inconditionnel de la cryogénisation, avait congelé son épouse décédée en 1984 dans un congélateur placé dans le sous sol de sa propriété. À sa mort en 2002, son fils l’a aussi congelé à sa demande. La justice est intervenue pour interdire telle pratique, sachant que la loi française n’autorise que l’inhumation et la crémation ou le don du corps à la science.
Les étapes de la cryogénisation
Le but étant de préserver un corps pour pouvoir le ramener à la vie ultérieurement, l’opération doit avoir lieu juste après la mort clinique, dans les minutes qui suivent et sur un corps en relativement bon état. Aussi, les entreprises spécialisées interviennent-elles immédiatement sur le lieu de décès (domicile, hôpital, …) à moins que la personne concernée ne choisisse de mourir dans les locaux du centre de cryogénisation directement.
Les cuves de cryogénisation de Cryonics Institute, aux Etats-Unis © Cyronics Institute
La dépouille est placée dans un bain de glace, ses fonctions cardiaques sont maintenues artificiellement, afin de préserver l’irrigation du cerveau le temps de le refroidir.
Les liquides vitaux (sang et eau) sont progressivement remplacés par un liquide cryoprotecteur de synthèse, afin d’éviter la formation de cristaux qui pourraient endommager organes, tissus et cellules. On parle de « vitrification », une avancée scientifique en date de 2004.
La température du corps est ensuite abaissée graduellement à -196° tandis qu’il est refroidi dans de l’azote. Par la suite, la dépouille est placée dans un container métallique en forme de cylindre, haut de 3 mètres environ. Les corps font l’objet d’une surveillance constante, subissant régulièrement des scanners pour vérifier l’état de conservation, prévenir tout risque de dégradation.
Il est possible de traiter un corps dans sa globalité … ou juste la tête et le cerveau, qui sont alors sectionnés avant d’être conservés. La cryogénisation est pensée comme une façon d’éviter la mort ; aussi les « cryonics » emploient une terminologie particulière : on ne parle pas de mort mais de « dés-animé », la dépouille une fois refroidie est « préservée ».
Un marché en développement
A l’origine vivement critiquée, notamment par les scientifiques évoluant dans le milieu de cryobiologie, discipline qui explore le comportement des êtres à très basses températures, la cryogénisation interpelle de plus en plus. On compte plus de 300 personnes cryogénisées à ce jour, il y en aurait environ 1000 sur liste d’attente.
Il existe trois entreprises leaders sur ce marché en expansion : les firmes américaines Cryonics Institute et Life foundation Alcor Kriorus en Russie. Une nouvelle structure est actuellement à l’étude an Australie.
« Seules trois entreprises commercialisent la cyrogénisation : les Américaines Alcor et Cryonics Institute et la Russe Kriorus ».
En parallèle de ces centres dédiés au stockage des dépouilles et à leur surveillances, on dénombre des entreprises et des associations qui interviennent en amont dans la préparation et l’envoi des corps ; citons Biostasis au Canada, Cryonics UK en Angleterre, la Société Cryonics France. On trouve également ce genre d’association en Allemagne, en Finlande, en Suisse, …
Les groupes originaires des pays d’Europe comptent faire pression sur les institutions européennes pour obtenir la légalisation de la cryogénisation.
Ces instituts sont souvent des fondations ou des associations à but non lucratif. Néanmoins la cryogénisation a un coût : il faut compter 80 000 euros pour conserver un cerveau, 200 000 pour un corps entier. Ces sommes englobent le matériel utilisé, le personnel médical employé pour refroidir et surveiller les dépouilles, les actes de surveillance, scanners et autres examens.
Les contrats sont signés du vivant du demandeur, et peuvent être réglés par des polices d’assurance dédiées. En effet ces produits financiers spécifiques à la cryogénisation sont de plus en plus prisés des banques et autres agences d’assurances. Il faut rappeler que les contrats spécifient que les entreprises concernées ne sont soumises à aucune obligation de résultat.
Limites et risques de la cryogénisation
- Outre le vide spirituel et l’absence de positionnement des religions en la matière, et le caractère onéreux de cette prestation qui la réserve donc à un public aisé, il faut absolument rappeler que la cryogénie demeure un pari, dont il faut connaître les risques et les failles.
- A ce jour, le procédé pour réanimer les corps n’est pas établi : rien ne dit qu’on le maîtrisera dans l’avenir.
- Quid de la conservation ad vitam aeternam des dépouilles ? Les sommes versées ne pourront éternellement financer l’entretien, le coût énergétique qu’implique pareil traitement.
- Le prix de la prestation n’intègre pas celui d’une éventuelle réanimation ; que se passera-t-il si un procédé est inventé ? Qui le payera ?
- En cas d’hypothétique réveil, qu’advient-il du statut de la personne ? Elle a été déclarée morte en amont de sa cryogénisation ; comment régler la question de son état civil si elle se réveille ?