J'ai l'habitude de dire que le plus difficile dans l'innovation n'est pas de trouver des idées (et c'est un des objectifs de ce blog de le démontrer). Savoir sélectionner les pistes les plus prometteuses et mener des expérimentations est déjà plus délicat. Mais le défi le plus important reste indiscutablement le passage du test à la production…
C'est le message qu'il faut retenir d'une interview du responsable de l'innovation d'une des institutions financières les plus crédibles au monde en la matière, l'américaine USAA : pour réussir, il faut impérativement que les approches soient profondément ancrées dans le fonctionnement quotidien de l'organisation et ne surtout pas les isoler dans une bulle plus ou moins étanche, comme il arrive tellement souvent dans les « labs » et autres structures dédiées mises en place pour accélérer les transformations.
Il suffit, en effet, d'observer, dans la plupart des grandes entreprises, la proportion indécente de projets qui ne dépassent pas le stade du pilote pour comprendre que les processus existants ne sont pas optimisés pour l'industrialisation (même s'il est parfaitement normal que tout essai n'aboutisse pas à une mise en production). Malheureusement, le problème est loin d'être simple à résoudre, car il touche à une multitude d'aspects différents dans la mise en place des démarches d'innovation.
Avant même de s'inquiéter du lancement et du devenir des initiatives, le premier enjeu à adresser est de faire accepter a priori les changements là où on prétend les introduire. Pour ce faire, il est utile de laisser émerger les idées là où elles vont être mises en œuvre et non uniquement dans une direction de l'innovation, toujours un peu à l'écart. Bien sûr, cette exigence suppose une évolution préalable de la culture d'entreprise, qui doit inculquer un principe de transformation permanente auprès de tous les collaborateurs.
Dans le cas d'USAA, le modèle est développé à l'extrême, puisque 90% des innovations prennent naissance hors du petit cercle des professionnels du sujet. Sur une année, quelques 1 000 employés – sur des effectifs totaux de 32 000 personnes, dont toutes ont bénéficié, sinon d'une véritable formation, au moins d'une session de sensibilisation – contribuent ainsi à l'effort général et, surtout, aux plus de 1 200 concepts issus du « lab » et mis sur le marché. Incidemment, ces chiffres révèlent l'absence de discrimination entre les niveaux de disruption, concourant à l'accoutumance au changement, petit ou grand.
En revanche, ce que n'aborde pas l'article de Tearsheet est la nécessité de prolonger l'implication des personnes concernées pendant toute la durée du projet, au-delà de l'impulsion initiale. Le travers est quasiment universel : même quand la collecte d'idées est correctement gérée et même quand elle s'accompagne d'une volonté sincère d'exécution, si la réalisation est confiée à une équipe indépendante ou si elle est menée « hors sol », le risque est immense de ne jamais parvenir à l'extraire du champ expérimental.
Par ailleurs, dans cette logique d'immersion de l'innovation dans le quotidien, il ne faut pas oublier l'environnement du projet. En particulier, les contraintes de sécurité, réglementaires, informatiques… doivent être maîtrisées : il arrive trop fréquemment qu'un test se déroule parfaitement mais que, au moment d'envisager la généralisation, on prenne soudain conscience d'une impossibilité ou de limitations qui, soit mettent fin instantanément au rêve, soit induisent des délais et des surcoûts contre-productifs.
Il n'est pas nécessairement question de prendre en compte toutes les exigences extérieures dès le début de toute initiative, car elles offriraient alors d'excellentes excuses pour ne pas avancer. Non, ce qui est requis (et demande beaucoup de dextérité) est de mener simultanément l'expérimentation et la planification de la future industrialisation, en intégrant toutes les personnes concernées. Et cette discipline expose un autre enjeu, de préparation à des remises en question inévitables dans tous les domaines.
En synthèse, quand j'analyse les méthodes d'innovation adoptées par une majorité d'institutions financières, il me paraît urgent d'attirer l'attention sur la définition des priorités. Tandis que l'accent est souvent mis d'abord sur la créativité et la génération d'idées, il faudrait surtout anticiper la dernière phase des processus, car si l'industrialisation n'a pas été prévue avant le démarrage, l'échec est probable…