Au château de Saint-Pierre de Varengeville en Normandie, le Centre d’art contemporain initié par la MATMUT offre ses espaces d’exposition à un photographe : Charles Fréger. Originaire de la région (il à fait ses études aux Beaux-arts de Rouen), l’artiste se positionne dans un statut qui l’éloigne de la photo documentaire pour se rapprocher d’un Nadar et de ses portraits mis en situation.
Depuis une vingtaine d’années Charles Frégier s’attache à des communautés fort diverses (Sumos, militaires, majorettes, jockeys, patineuses) chez lesquelles il tente de révéler les rituels, les signes d’identification à chaque cercle. Cette fascination pour les groupes à l’image forte est née lorsque, étudiant, un bateau de la marine faisant escale à Rouen, il s’est investi dans une importante série de portraits de marins. Mais ce qui, au départ, pouvait passer pour un constat froid et objectif, volontairement répétitif a évolué vers une photographie préparée avec son modèle, mise en situation pour ne pas dire mise en scène. A Saint-Pierre de Varengeville sont présentées ces investigations photographiques qui l’ont mené au bout du monde comme pour ces « Queens of Cebu » rassemblant les « Reines de Cebu » lors de fêtes aux Philippines ou les « Fantasias » approchées dans les carnavals brésiliens.
Entre photographie et ethnologie, la mise en oeuvre de ce qui ressemble à des véritables campagnes photographiques n’est pas sans rappeler les premiers vertiges de la découverte sur le terrain d’un Albert Londe (1858-1917) lorsque l’avènement du gélatino-bromure d’argent, facile à employer en déplacement, ouvre un champ infini d’exploration à la photographie.
Pour autant une telle entreprise ne revendique pas son assimilation à une démarche scientifique exhaustive quand bien même le photographe accompagne ses oeuvres d’ouvrages d’ethnologues pour enrichir ce cheminement sur le terrain.
Charles Frégier reste séduit par la dimension artistique de ses sujets et la couleur peut constituer le fil conducteur d’une série comme « Asafo Togo » en 2014 : lors des commémorations du génocide de la population Herero les chasseurs et mercenaires Asafo portent sur leur visage et leurs costume ce bleu obsédant qui nous rappellerait, dans une culture européenne, le « Pierrot le fou » de Godard. Là encore le photographe n’est pas en situation de simple captation fugitive du réel, il ne vole pas une scène découverte au hasard d’un voyage. Charles Frégier opère une mise en situation précise se des modèles, avec les outils d’un photographe de studio, ce qui contribue à théatraliser ses personnages. Cette ethno-photographie adopte alors la dimension d’un art à part entière. Entre Albert Londe et Nadar, le statut du photographe bascule progressivement. L’identité des personnages reste authentique mais le photographe a pris ses distances avec le réel immédiat pour mettre en scène ses sujets. Loin d’un instantané, le portrait de chaque personnage fait l’objet d’une préparation minutieuse comme en témoigne une vidéo présentée dans l’exposition. L’opérateur n’est pas objectif, il a un objectif : nous donner à voir un réel magnifié par l’objectif de son appareil au terme de cette soumission du sujet à son protocole. Charles Fréger n’est pas un anthropologue repenti mais un artiste photographe épanoui.
Charles Fréger « Fabula »
6 octobre 2017 – 7 janvier 2018
Centre d’art contemporain de la MATMUT
425 rue du château
76480 Saint-Pierre de Varengeville