Les femmes, en Afrique, sont des agents économiques très dynamiques, plus que partout ailleurs dans le monde. Elles effectuent la majorité des activités agricoles, détiennent le tiers de l’ensemble des entreprises et représentent, dans certains pays, plus de 50% des employés. Au-delà de leurs activités génératrices de revenus, elles sont les principaux leviers de l’économie domestique et du bien-être familial, et jouent un rôle absolument indispensable parfois méconnu de dirigeants au sein de leurs communautés et de leurs nations respectives. Et pourtant, sur l’ensemble du continent africain, les femmes se heurtent à toute une série d’obstacles qui entravent la réalisation de leur plein potentiel, allant de pratiques culturelles restrictives et de lois discriminatoires à des marchés du travail très segmentés.
Dans toute l’Afrique, les femmes et les hommes font souvent l’expérience de différences dans les opportunités, les conditions et les privilèges ; ils ont des salaires différents, ils n’ont pas le même accès à l’éducation et ne sont pas toujours égaux devant la loi. Selon l’indice de l’égalité du genre publié par la Banque Africaine de Développement en 2015, sur une échelle de 0 à 100, les pays africains sont dans une fourchette de 15,8 à 74,5 avec une moyenne de 54,1. Le classement nous permet d’identifier les pays les plus avancés en matière d’égalité de genre (l’Afrique du Sud, le Rwanda, la Namibie, la République de Maurice et le Malawi sont les cinq premiers).
Jusqu’à une époque récente, les femmes se heurtaient à des obstacles gigantesques pour être traitées sur un pied d’égalité avec les hommes. Tout au long de ces dernières décennies, des revendications communes aux mouvements de femmes ont émergé et rallié la plupart des groupes autour d’enjeux fédérateur comme les droits des femmes et l’égalité des sexes, la lutte contre les violences faites aux femmes, la prise en compte des femmes dans toutes les sphères de la société. Au Bénin par exemple, nous avons l’organisation ROAJEF, qui œuvre pour les enjeux que soulève la question des femmes à notre ère. Nous avons également le mouvement « TOLERANCE ZERO » qui lutte contre le mariage des jeunes filles. La communauté internationale et les organisations internationale se sont également intéressées au problème du genre et de l’autonomisation des femmes. Depuis l’adoption des Objectifs du Millénaire pour le Développement, beaucoup de progrès ont été enregistrés. Mais malgré ces avancés dans le domaine, on observe encore des disparités du genre et des problèmes liés à l’autonomisation des femmes en Afrique et, tant qu’il reste à faire, rien n’est fait. La question peut être traitée sur trois points : les femmes et les opportunités économique, les femmes et le développement humain et les femmes dans les rôles de citoyennes et de dirigeantes.
LES FEMMES ET LA PRODUCTION
La question qu’il y’a lieu de se poser ici est : Les hommes et les femmes ont-ils les mêmes opportunités dans les affaires et dans l’emploi ?
L’agriculture demeure l’épine dorsale de l’économie africaine et emploie 70 % de la population. Les femmes jouent un rôle majeur dans l’économie agricole ; elles constituent pratiquement les deux tiers de la main-d’œuvre agricole et produisent la majorité des denrées alimentaires de l’Afrique. Or, dans le secteur agricole, les femmes ont très peu accès aux intrants essentiels que sont la terre, le crédit, les engrais, les nouvelles technologies et les services de vulgarisation. Pour cette raison, leurs rendements ont tendance à être nettement plus faibles que ceux des hommes. En Éthiopie par exemple, les femmes ont une production de 26 % inférieure à celle de leurs homologues masculins, et au Ghana, de 17 %. A titre illustratif, au Bénin par exemple, les femmes n’ont pas droit aux terres en matière d’héritage. Dans la coutume béninoise, lorsqu’un défunt laisse à ses enfants filles et garçons des terres en héritages, seuls les garçons ont droit à ces terres, les filles non. Cela réduit l’accès des femmes aux terres et limite de ce fait leur capacité de production. La réduction de l’écart entre les genres en matière de production agricole permettrait non seulement de renforcer la sécurité alimentaire mais aussi d’accroitre la croissance inclusive.
En dehors de l’agriculture, les taux de participation de la main-d’œuvre féminine sont élevés dans toute l’Afrique, à l’exception de l’Afrique du Nord. Ils atteignent 85 à 90% dans les pays tels que le Burundi, la Tanzanie et le Rwanda. Dans de nombreux pays (le Nigéria, le Togo, le Burundi), les taux de participation des hommes et des femmes sont égaux ou très proches. Cependant les marchés du travail africains sont marqués par une très ségrégation fondée sur le genre, les femmes travaillant généralement dans des occupations peu rémunérées. Notons aussi que les femmes africaines ont une très forte propension à l’entrepreneuriat, mais seulement parce qu’elles n’ont pas d’autres choix. Elles sont beaucoup plus tournées vers le petit commerce et l’informel par manque d’alternatives.
Les femmes africaines peuvent constituer un véritable moteur de croissance, mais elles sont confrontées à des difficultés liées à la terre (droits fonciers), le crédit, l’accès aux infrastructures, etc.
LES FEMMES ET LE DÉVELOPPEMENT HUMAIN
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Les questions auxquelles je vais répondre dans cette partie de l’article sont : Les garçons et les filles ont-ils les mêmes chances à l’école ? et Les femmes ont-elles accès à des services de santé reproductive ?
Investir dans les femmes et les filles est l’un des moyens les plus efficaces de promouvoir le développement. On s’accorde à reconnaître, depuis des années, que l’investissement dans le développement humain des femmes et en particulier dans l’éducation des filles permet de gagner sur deux tableaux. Cela améliore la qualité de vie des femmes car cela leur permet d’être des acteurs plus productifs dans la société. Cela leur permet également de défendre la cause du développement humain pour leurs familles et leurs communautés.
Les femmes bénéficient de nos jours de l’accès à nombreux services de santé. Au bénin par exemple, le gouvernement avait initié la gratuité de la césarienne, on a également fréquemment des campagnes de distribution des moustiquaires, et de vaccination contre certaines maladies comme la rougeole. Le développement des services de santé a apporté aux femmes africaines d’importantes améliorations. En Afrique subsaharienne, près de la moitié de toutes les naissances d’enfants est désormais encadrée par un personnel de santé qualifié. Certains pays dont le Ghana, l’Éthiopie et le Rwanda, ont fait de réels progrès dans la réduction de la mortalité maternelle, en améliorant l’accès à un personnel de santé qualifié lors de la naissance et grâce aux soins obstétriques.
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En matière de scolarisation des filles, l’Afrique a fait un grand pas ces dernières décennies. Au Bénin, depuis quelques années, il y’a la gratuité de la scolarisation des filles, ce qui fait que d’années en années, on observe une croissance en matière de scolarisation des jeunes filles. La mentalité de nos ancêtres selon laquelle les femmes sont faites pour le ménage et le champ subit un changement progressif. Les études menées dans les années quatre-vingt-dix par la BAD ont permis de conclure que chaque année de scolarité supplémentaire pour les filles contribue à réduire la mortalité infantile de 5 à 10 %, que 40 % des enfants nés de mères ayant achevé les cinq années de scolarité primaire ont plus de chances de vivre au-delà de l’âge de cinq ans et que 43 % d’entre eux ont moins de risques d’être mal nourris. Nous pouvons affirmer que l’Afrique a comblé l’écart du genre dans l’éducation de base car dans l’ensemble, le ratio filles-garçons dans primaire et secondaire est passé de 87 % en 2005 à 91 % en 2012. Mais notons ici que, neuf des dix pays au monde où les taux de mariage infantile sont les plus élevés se trouvent en Afrique. Les filles sont également vulnérables aux agressions sexuelles des enseignants et des élèves dans les établissements scolaires. La violence à l’égard des femmes est un problème aigu en Afrique (comme dans tous les pays du monde) et est très difficile à résoudre. Les femmes sont exposées à la violence conjugale, à celle de leurs voisins et connaissances, et même à celle d’étrangers. Mais il est important de préciser que d’importantes disparités existent entre les pays et les régions en matière de violences faites aux femmes.
LES FEMMES DANS LES ROLES DE CITOYENNES ET DE DIRIGEANTES
Ici, il s’agit de se poser les questions suivantes : Les femmes et les hommes sont-ils également représentés dans les institutions ? Les femmes ont-elles les mêmes droits que les hommes ? Ont-elles les mêmes droits pour la famille ?
Les femmes assument déjà des responsabilités de premier plan dans toute l’Afrique au sein de leurs familles, dans leurs communautés et dans la société civile, ainsi que dans la fonction publique et en politique. En temps de conflit, elles sont souvent la voix de la réconciliation.
En matière d’égalité devant la loi, Tous les pays africains reconnaissent le principe de non-discrimination dans leurs constitutions. Tous, sauf deux, ont ratifié les conventions internationales interdisant la discrimination contre les femmes. Le Protocole de Maputo sur les droits de la femme en Afrique, qui a été signé par 46 pays, est une garantie globale des droits des femmes à l’égalité sociale et politique. Mais nous notons des disparités entre les lois et les pratiques traditionnelles. En effet, dans des domaines tels que les biens matrimoniaux, les successions, la propriété foncière et le travail, les femmes ne sont pas considérées comme des citoyens à part entière. On compte des pays dans lesquelles une femme mariée ne peut pas demander un passeport comme le fait son mari, et 15 pays où une femme mariée n’a pas la liberté de choisir son lieu de résidence. Dans 35 pays, les femmes mariées sont obligées par la loi d’obéir à leur mari. Dans ces genres de situation, les réformes administratives peuvent être stimulées pour résoudre les problèmes.
Les femmes sont plus visibles dans la sphère publique mais manquent encore de reconnaissance ailleurs. En effet, l’histoire politique du Bénin mentionne la participation des femmes à la vie publique et politique depuis le 19è siècle, précisément, sous le règne du Roi Guézo (1818-1858). C’étaient les Amazones, corps d’armée féminine dont la bravoure et l’intrépidité ont permis de gagner des guerres et d’étendre l’hégémonie du Royaume de « Dahomey » sur les contrées avoisinantes. Il n’est pas exagéré de rappeler que sous le règne du célèbre Roi Béhanzin (1889-1894), les amazones ont livré de mémorables combats dont les échos remontent jusqu’à nos jours. Au Libéria, Ellen Johnson-Sirleaf a été la première femme Présidente de la République d’un pays africain. Elle a été suivie par Joyce Banda au Malawi et Catherine Samba-Panza en République Centrafricaine. Les femmes, aujourd’hui, se rencontrent dans tous les cabinets ministériels des pays africains et la proportion globale de femmes ministres est passée de 4% à 20%, avec l’Afrique du Sud (45 %), le Cap-Vert (36 %) et le Lesotho (32 %) en tête de peloton (BAD, 2015). A cet égard, l’Afrique est en avance sur l’Europe. Beaucoup d’entreprise sont également créées et gérées par les femmes africaines. La femme d’affaires nigériane Fola Laoye, par exemple, a contribué à faire de ce qui n’était au départ qu’une entreprise familiale une compagnie qui est, aujourd’hui le plus grand fournisseur de services de soins de santé dans le pays et qui emploie plus de 750 personnes. La kényane Eva Muraya a créé une entreprise dynamique, Color Creations. Elle a été couronnée pour son innovation et ses capacités de leader aussi bien en Afrique que sur la scène internationale. Nous sommes convaincus qu’en promouvant, chez les femmes, la citoyenneté, le droit à la parole et l’accès aux responsabilités, on peut créer des sociétés africaines plus dynamiques, et des institutions plus résistantes et plus réactives.
QUELQUES PROPOSITIONS
Pour réduire les inégalités du genre, les responsables politiques doivent se donner cinq priorités : réduire la surmortalité des filles et des femmes, éliminer les discriminations qu’elles subissent encore dans l’éducation, leur offrir davantage de débouchés économiques et ainsi accroître leur revenu et leur productivité, leur assurer une influence égale dans les ménages et la société, et limiter la transmission intergénérationnelle des inégalités.
Pour réduire la surmortalité, il faut en déterminer les causes à chaque âge. Les filles étant plus sensibles que les garçons aux maladies infectieuses véhiculées par l’eau pendant la première et la petite enfance, il est essentiel d’améliorer l’approvisionnement en eau et l’assainissement pour réduire cette surmortalité dans ce groupe d’âges (Banque mondiale, 2011). Il est crucial de renforcer les soins de santé aux femmes enceintes. Dans les régions d’Afrique subsaharienne les plus touchées par le VIH/SIDA, il faut en priorité faciliter l’accès aux médicaments antirétroviraux et réduire l’incidence des nouvelles infections. Pour enrayer les avortements sélectifs qui aboutissent à limiter le nombre de filles, il convient de renforcer la valeur sociétale des filles.
En matière d’éducation, pour combler le fossé qui persiste dans certains pays, il faut éliminer les obstacles ethniques, géographiques ou dus à la pauvreté. Par exemple, lorsque se pose essentiellement un problème de distance, l’augmentation du nombre des écoles peut réduire les inégalités. En matière de pauvreté, il faudra renforcer le programme de gratuité de l’école jusqu’à offrir des fournitures scolaires aux filles. Si des solutions sur mesure sont difficiles à appliquer ou trop coûteuses, des interventions au niveau de la demande, comme des transferts monétaires liés à l’assiduité scolaire, peuvent aider à scolariser les filles de familles pauvres. De tels transferts ont permis de relever le taux de scolarisation des filles dans des pays aussi divers que le Mexique, la Turquie et le Pakistan (Banque mondiale, 2011).
Pour offrir plus de débouchés économiques aux femmes et ainsi réduire les inégalités de revenu et de productivité, il faut conjuguer des politiques diverses. Les solutions sont notamment de permettre aux femmes de se ménager du temps pour travailler (par exemple en versant des subventions pour la garde des enfants, comme en Colombie) et de faciliter l’accès au crédit, comme au Bénin à travers le programme de microcrédits aux plus pauvres, et aux ressources productives, surtout les terres, comme en Éthiopie, où les titres fonciers sont désormais accordés conjointement aux époux. Il sera aussi possible de multiplier les débouchés en s’attaquant au manque d’information sur la productivité féminine au travail et en éliminant les discriminations sexospécifiques des institutions (par exemple, en adoptant des quotas qui favorisent les femmes ou des programmes de placement comme en Jordanie).
Pour réduire les inégalités au sein des ménages et dans la société, il faut agir sur plusieurs fronts, dont l’influence des croyances et des normes sociales, les débouchés économiques, le cadre juridique et l’éducation. Des mesures visant à accroître le droit de regard des femmes sur les ressources du ménage et des lois qui leur permettent d’accumuler plus facilement des avoirs, surtout en renforçant leur droit de propriété, sont importantes.
Au Maroc, la récente réforme du droit de la famille a consolidé le droit de propriété des femmes en égalisant les droits des conjoints sur les acquêts. Il est notamment possible d’augmenter l’influence des femmes dans la société en les formant à de futurs postes de dirigeants, en les faisant participer davantage à la vie syndicale et aux associations professionnelles et en instituant des quotas dans le monde politique.
Pour limiter les inégalités dans le temps, il est capital de cibler les adolescentes et les jeunes adultes. Les décisions prises à cet âge sont déterminantes (compétences, santé, opportunités économiques et aspirations). Pour éviter de pérenniser les inégalités, il faut insister sur le renforcement du capital social et humain (comme au Malawi, par exemple, avec les transferts monétaires en faveur des filles pour qu’elles ne quittent pas l’école ou y retournent), faciliter la transition de l’école au travail (comme avec les programmes de formation au travail ou à la vie quotidienne destinés aux jeunes Ougandaises) et modifier les aspirations (l’Inde donne comme modèles à ses jeunes femmes les dirigeantes politiques de ce pays).
Enfin, si beaucoup reste à faire, le monde a déjà profondément changé en reconnaissant finalement que l’égalité hommes-femmes est souhaitable dans l’intérêt de tous. Il est de plus en plus évident que l’élimination des inégalités a de nombreux avantages, économiques ou autres.
En conclusion, les femmes africaines constituent un levier important du développement de l’Afrique. Nous soulignons, dans la présente analyse, le rôle important joué par les femmes africaines dans le processus de développement. Mais nous sommes également conscients des multiples obstacles qui se dressent sur leur chemin et les empêchent d’optimiser leur contribution. Le coût de ces contraintes est payé non seulement par les femmes elles-mêmes, mais également par l’ensemble de la société.
Florent SAVOEDA.
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