©JBBarret
La quatorzième édition des Photaumnales réunit à Beauvais, du quatorze octobre au trente et un décembre de cette année 2017, une trentaine de photographes des départements français des Amériques. Il s’agit à travers la création photographique contemporaine de porter un regard neuf sur les Antilles, loin des traditionnels clichés. Mais les expositions confrontent également les images issues de collections historiques et privées aux images d’artistes contemporains.
©Photaumnales
Un vaste panorama de photos d’archives dévoilent la réalité antillaise entre 1900 et 1980 : les vues stéréoscopiques de la collection de la Fondation Clément, captées juste après l’éruption de la Montagne Pelée en 1902 ; le fonds Adolphe Catan, photographe ambulant en Guadeloupe entre 1940 et 1950 ; la collection Benoît – Jeannette et ses vues pleines de spontanéité, les reportages d’Arlette Rosa Lameynardie, reporter communiste qui , après son installation à la Martinique, s’est appliquée à fixer l’instant lors de ses innombrables balades sur le territoire et enfin, la photographie humaniste de Denise Colomb développée lors de deux missions, la première en 1948 sur l’invitation d’Aimé Césaire, la seconde dix ans plus tard commandée par la Compagnie générale transatlantique.
Les œuvres contemporaines sont distribuées dans quatre sections : mémoire, créolité, territoire et émergences. Elles témoignent de la vitalité et de la diversité de la création photographique antillaise.
Quelques photographes, Gilles Elie Dit Cosaque, Robert Charlotte, Shirley Rufin, Jean- Baptiste Barret, de retour de l’inauguration, ont bien voulu partager leurs premières impressions.
©JBBarret
Les expositions des Photaumnales veulent questionner la construction de la notion de l’identité des Antilles. De votre point de vue, l’objectif est- t- il atteint ?
Gilles Elie Dit Cosaque
De mon point de vue, ce n’est pas ce qui se dégage de ce festival. Bien plus que la construction de l’identité antillaise, l’exposition met en valeur l’évolution de la photographie antillaise, de ses débuts documentaires, de son passage par la carte postale à son point d’arrivée contemporain. Elle met en perspective les images qu’a pu réaliser par exemple Adolphe Catan, photographe ambulant et photographe officiel des gouverneurs avec la photographie contemporaine qui participe à la déconstruction du cliché exotique. Le titre de la série de Daniel Goudrouffe, Beyond Paradise me semble tout à fait explicite.
©Robert Charlotte
A l’entrée de l’exposition, il y a un tout un mur de cartes postales d’Exbrayat qui a suscité bien des débats parmi les exposants, certains n’appréciant pas cette intrusion du cliché exotique. Mais l’essentiel est que cette ouverture conduise à autre chose. Cette confrontation des clichés des années 60, du regard sur la Martinique d’un photographe qui n’en est pas originaire et de la création photographique contemporaine permet au public de comprendre que, derrière le cliché exotique, il se passe autre chose aux Antilles. Et c’est ce que montre l’exposition à travers les œuvres de Shirley Rufin, de Robert Charlotte, de Manicom, de Goudrouffe et de tous les autres.
Robert Charlotte
C’est une exposition fantastique, dans toutes ses dimensions : par la force de son contenu, par ses articulations, par sa scénographie qui donne un rythme en jouant sur des formats divers. Et pour expliquer comment cette idée d’une présentation de l’évolution de la photographie est soulignée dans la scénographie, la place de la série des cartes postales culinaires de Félix Rose – Rosette, accrochée dans un entre – deux, entre la partie historique et le partie contemporaine, est un bon exemple.
Voilà bientôt quinze ans que la question de l’identité photographique antillaise est au premier plan des échanges. Y a t – il une photographie antillaise ? Les images racontent quelque chose. Les Garifunas, pour moi, parlent de liberté, de résistance plus que d’identité. En même temps notre manière d’aborder le monde nous est particulière. Il me semble que les photos de Robert Walker de Couleurs Quebec, pourtant saturées de couleurs, disent l’implacable société contemporaine, le consumérisme et la détresse humaine alors que dans la photographie caribéenne, il n’y a pas de désespoir, il n’y a pas cette tristesse que l’on retrouve aussi dans Les Encombrants de Morgane Britscher.
© Morgane Britscher
Les encombrants
Cependant, quelques-uns de nos pairs pensent que nous avons intégré des images produites par d’autres et que nous les reproduisons sans cesse, que notre production photographique est formatée par le regard de l’autre. Que certains sujets, les pitts, les images mémorielles, traversent l’histoire de la photographie antillaise. Comme si nous n’échappions pas à des sujets incontournables.
Shirley Rufin
Peut – être que chacun d’entre nous passe au début de sa pratique par la marchande de pistache ou les mains déformées des travailleurs mais ce sont juste des gammes pour construire notre propre écriture photographique…
Gilles Elie Dit Cosaque
Y a-t-il une facilité à la nostalgie ? Une attirance pour les murs décatis, la peinture écaillée. Le mur neuf tourné vers l’avenir ne révèle rien alors que le mur en décomposition a une histoire à raconter. Nos photographies convoquent souvent la mémoire, l’histoire mais, pour ma part, je n’ai pas de nostalgie. C’est peut – être une manière de construire un langage commun ?
Même s’il y a une certaine homogénéité perceptible dans les paysages, les modèles et parfois même les thèmes, même si je me reconnais dans beaucoup de photos de « mes collègues », je ne pense pas que l’on puisse parler de la photographie caribéenne. Il y a des photographes de la Caraïbe .
Shirley Rufin
D’une certaine manière, je pense que les Photaumnales ont bien atteint leur objectif de donner à voir la construction de l’identité antillaise. Le cheminement par chapitres, mémoire, créolité, territoire, émergences finit par dégager une identité de la photographie actuelle des Antilles en laissant percevoir que les photographes d’aujourd’hui ont dépassé le doudouisme, l’exotisme et développent de véritables questionnements et problématiques. L’articulation entre la mémoire des cartes postales et le questionnement social est bien amenée. Le public est curieux et en général plutôt surpris de ne pas retrouver les stéréotypes antillais dans nos photos. Pour ma part, mon questionnement photographique ne se limite pas aux frontières insulaires. Certes, il y a un ancrage, je vis sur un territoire mais mon propos n’est pas l’identité.
©Gilles Elie Dit Cosaque
Jean- Baptiste Barret
Une identité n’est jamais figée, jamais définitivement construite. Alors je dirais que, dans le sens où, cette exposition montre bien la quête de cette identité par les photographes- Qui sommes–nous ? Qu’est ce qui se passe aux Antilles ? – alors oui, l’objectif est atteint. Le festival montre la construction d’une identité plus qu’une identité aboutie. Les images de Steeve Cazaux, très spontanées, emplies de grâce, en sont un bon exemple. Et c’est leur assemblage qui en accroît la richesse. Cette exposition donne voir notre complexité. Une photo renvoie à un univers… C’est une porte. Il appartient au regardeur de l’ouvrir. Ma grena de Gilles Elie Dit Cosaque ou Nord-Plage de Jean- Luc de Laguarigue évoquent des univers spécifiques et sont une invitation à découvrir le contexte social, géographique ou historique.
Je trouve toutefois la partie historique, les collections d’archives, un peu trop importante par rapport aux sections consacrées à la création dans la mesure où c’est la partie contemporaine qui est à mon avis la plus intéressante, la plus vivante. J’émets une petite réserve par rapport à la nostalgie que les archives pourraient susciter.
Pouvez – vous présenter brièvement la photographie exposée dans ce festival qui vous a le plus marqué ?
©Robert Charlotte
Gilles Elie Dit Cosaque
Incontestablement, les bananiers anthropomorphes de Mujesira Elezovic. Cinq ou six tirages de grand format montrent ces feuillages desséchés sur fond blanc, chacun isolé sur un panneau. Et tu y vois des visages, même un christ crucifié dans celle accrochée à l’extérieur, sur les grilles de la Cathédrale
Robert Charlotte
La photo de Tina Merandon dans Couleurs Hong-Kong. Au pied de gratte – ciels imposants, un groupe de femmes tout en noir, vues de dos comme en résistance contre la puissance de cette architecture, de ce mode de vie.
©Gilles Elie Dit Cosaque
Kunta Kinte et ses amis
(accrochage en cours)
Shirley Rufin
C’est Kunta Kinte et ses amis de Gilles Elie Dit Cosaque qui m’a le plus marquée. Isolée, seule sur un panneau, elle marque une nouvelle étape du cheminement de l’exposition.
Jean- Baptiste Barret
J’aime tout particulièrement l’ensemble de Magali Paulin parce que cet ensemble photographique raconte sa propre quête par rapport aux Antilles. D’origine martiniquaise, elle effectue son premier voyage aux Antilles en 2016. Et elle associe les paysages et les personnes rencontrées. Tout est présent dans cet ensemble : les paysages, les jeux, la convivialité autour d’une table, les rites mortuaires.
Que vous apporte un tel festival ? Qu’apporte – t il au public ? Comment s’inscrit – il dans l’évolution de la photographie antillaise ?
Jean-Baptiste Barret
Je crois que nous sommes tous comblés par la dynamique que crée ce genre de rencontres. Nous retrouver ainsi ensemble hors du contexte habituel… Nos débats parfois nos désaccords sont très enrichissants et provoquent une frénésie renouvelée de mettre le monde en images. Ce qui m’intéresse, c’est le processus photographique. Lorsque je regarde une photo, j’imagine comment elle a été faite, comment le photographe est allé au devant du modèle, comment tout cela a pu se passer.
Robert Charlotte
Cette expression de trois cultures, Québec, Honk Kong, Antilles met en évidence notre façon particulière de penser le monde.
Gilles Elie Dit Cosaque
Cette manifestation crée une dynamique entre nous …elle nous laisse des envies de collaboration, par exemple d’initier un exercice et d’y répondre. Sa valeur ajoutée : susciter le dialogue, provoquer les rencontres…
©Nadia Huggins
©Robert charlotte
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