Conférence donnée par Mr Alex Salmond le lundi 7 août 2017 dans le cadre du Festival Interceltique de Lorient - Bretagne
Une Europe des peuples
C'est un grand plaisir pour moi d'être ici à Lorient à l'occasion de ce célèbre festival. Et un plaisir tout particulier de présenter la traduction en français de mon livre « Notre rêve ne mourra jamais » qui raconte en détails l'histoire du référendum de 2014.
L'Europe connaît depuis quelque temps une série de crises sérieuses.
Bien que les dangers du populisme d’extrême droite aient été écartés au cœur même de l'Europe, aux Pays-Bas ou en France, son ombre plane toujours à l'est et à l'ouest.
Le Brexit semble conduire le Royaume-uni dans une impasse calamiteuse tandis que les mauvais élèves de l'Europe que sont la Hongrie et la Pologne exaspèrent au plus haut point Bruxelles. La gestion calme et mesurée du Brexit par Michel Barnier (jusqu'à présent) donne l'illusion que l'on peut gérer ces problèmes sans remettre en cause les fondements et les valeurs essentiels de l'Europe bien que la dérive autoritaire incontrôlable (jusqu'à présent) du gouvernement polonais pousse certains à suggérer l'expulsion de la Pologne de l'Union européenne.
Pendant ce temps, la Commission fait la sourde oreille à certains processus démocratiques au sein de ses propres frontières. Apparemment, tant qu'un état reste fidèle et loyal à l'Union européenne, certains droits démocratiques passent au second plan pour les bureaucrates européens, comme s'en rend actuellement compte la Catalogne.
Cependant tous ces défis que rencontre l'Europe illustrent de façon assez cruelle son propre échec depuis les années 90 quand les travailleurs se tournaient vers Bruxelles pour mieux défendre leurs droits, quand les nations sans état voyaient en Bruxelles un allié pour contrer le centralisme des gouvernements dominants ou quand les Européens de l'Est juste libérés de l'emprise communiste voyaient leur salut dans les valeurs européennes.
La situation actuelle de l’Écosse peut nourrir la réflexion et les raisons s'en retrouvent dans le passé européen de notre pays.
Depuis 1000 ans, il y a eu deux chocs fondamentaux, deux surprises, sinon deux tournants dans l'histoire européenne. Le premier c'est le titre de champion de la Premier League anglaise du club de football de Leicester City , il y a deux saisons...... Et le second fut la victoire d'une armée de va-nu-pieds écossais en 1297 à Stirling contre la fine fleur de la chevalerie Plantagenêt.
Ce n'est pas un fait unique. Des paysans flamands infligèrent le même sort aux chevaliers français quelques années plus tard à Courtrai.Mais la victoire de Stirling marque un vrai tournant dans l'histoire médiévale,
Un peu comme le club de Leicester, William Wallace mordit la poussière la saison suivante à la bataille de Falkirk. Cependant après la bataille de Stirling, que firent les deux Gardiens de l’Écosse qu'étaient William Wallace et Andrew de Moray pour célébrer leur victoire historique? Vous vous dites sans doute.... un énorme ceilidh ou un monstrueux fest-noz ?
Et bien, non ! Ils rédigèrent une lettre pour le quartier général de la Ligue hanséatique à Lübeck en leur disant et je résume : « Il y a eu du changement, nous sommes de nouveau aux commandes : pourrions-nous reprendre nos échanges commerciaux ? Et s'il vous plaît , soyez gentils envers nos deux marchands qui vous apportent cette lettre. ».
La Ligue hanséatique était à l'époque un peu l'équivalent de notre marché unique européen, et la lettre envoyée à Lübeck correspond à ce que dit aujourd'hui le Premier ministre écossais à la Commission européenne : « Bon, nous n'aimons pas ce Brexit anglais, nous n'avons pas voté pour et nous n'en voulons pas. Et nous espérons bientôt être aux commandes ».
Quelques 450 ans après la bataille de Stirling, nous trouvons un gentleman écossais s'ennuyant à éduquer un aristocrate écossais, écrivant à un ami depuis Toulouse pour lui annoncer qu'il commençait à écrire un nouveau livre. Ce gentleman écossais se nommait Adam Smith (philosophe et économiste des Lumières) , son ami David Hume (philosophe, historien, économiste des Lumières) et son livre « La richesse des nations » (livre fondateur de l'économie politique).
Tout ceci pour dire que l’Écosse du XVIIIè siècle était alors au centre de la pensée européenne et que les Lumières écossaises ont largement nourri les révolutions américaine et française.
Sautons un siècle et demi. Nous retrouvons l’Écosse, il y a un siècle, au centre du conflit européen de 1914. Les pertes écossaises dues au carnage que fut cette « grande guerre », en pourcentage de la population, sont les plus fortes après celles de la France et de l'Allemagne. Des villages du nord-est de l’Écosse et des Highlands ont vu la moitié des hommes en âge de combattre ne pas revenir. D'où notre intérêt dans la paix apportée depuis 65 ans par la construction européenne.
J'ai insisté sur ces 3 épisodes de notre histoire pour montrer à quel point l’Écosse est un pays européen depuis près d'un millénaire. Que ce soit pour le commerce, la culture, la recherche scientifique, la pensée, la paix ou la guerre, l’Écosse a toujours été au centre de l'Europe.
Donc s'entendre dire que, malgré la volonté exprimée du peuple écossais, ces liens avec l'Europe allaient être réduits, suspendus ou supprimés, que nous allions être réduits au simple rôle de spectateur, est juste démocratiquement inacceptable, c'est un affront à notre propre histoire. C'est inacceptable pour l'Ecosse, c'est inacceptable pour l'Europe.
Il y a de nombreuses choses négatives dans ce processus du Brexit : le Royaume-uni en sortira affaibli. Le Brexit n'a rien d'autre à offrir que des inconvénients comme l'a rappelé le Président Tusk. Même chez les Brexiters qui n'arrêtaient pas de vanter les avantages du Brexit, l'inquiétude se fait désormais sentir et les mêmes cherchent à limiter les dégâts.
Mais l'un des aspects les plus négatifs de cette histoire de Brexit est le temps et les moyens mis à démanteler une partie de l'Union européenne alors que nous devrions nous préoccuper des défis d'aujourd'hui et demain auxquels nous sommes tous confrontés. Quel gâchis ! L'Europe devrait être entrain de se réformer pour pallier à ses propres faiblesses, ainsi que l'avait d'ailleurs prévu Robert Schuman qui avait prédit que l'Europe se construirait par paliers successifs.
Ceci dit, il y a un aspect de l'histoire de l’Écosse qui devrait réconforter et donner de l'espoir au reste de l'Europe. On nous a dit et répété que l'ordre établi était assiégé par les forces populistes d’extrême-droite, que les libertés, le droit et la justice, les politiques progressistes étaient sur le recul en Europe et même dans le monde.
Cependant, en Écosse, les forces progressistes pro-européennes dominent le paysage politique . Même après les dernières élections législatives britanniques, le SNP ( Scottish national Party) avec sa volonté inébranlable de garder notre place en Europe détient la majorité des sièges de députés écossais à Westminster et la majorité au Parlement d'Edimbourg. En Ecosse, la remise en cause de l'establishment se fait par la réaffirmation des idées libérales et progressistes et l'Europe reste pour les Ecossais une construction positive malgré tous ses défauts dont il vaut mieux faire partie que de la quitter.
Comme l'a indiqué lui-même le Président Juncker, l’Écosse a gagné le droit d'être entendue et d'être écoutée à Bruxelles.
Il n'y a pas que l’Écosse dans ce cas. A travers l'Europe, de nouvelles forces pour le changement sont apparues notamment en provenance de la gauche. Là aussi, quelle fut la réponse de l'Europe ? Une nouvelle déception. Alors que les ennemis réactionnaires du Traité de Rome sont à nos portes, l'aide des nouvelles forces politiques devrait être chérie et accueillie avec bienveillance.
Nous avons besoin d'une Europe où la contestation soit transformée en espoirs positifs.Nous devons relever l'étendard en lambeaux d'une Europe sociale. Nous devons remettre à l'ordre du jour les idéaux de la Ligue celtique, auto-détermination des peuples, diversité culturelle et linguistique, paix et liberté, et leur donner toute leur place au sein d'une Europe unie.
L'année dernière, le gouvernement écossais a publié un document sur l'avenir de l’Écosse : comment maintenir nos liens avec le reste de l'Europe, comment adapter le Royaume-uni à cette nouvelle situation . Ce document présente de façon claire et pragmatique, notions totalement absentes dans le reste du monde politique britannique, comment faire respecter la volonté européenne du peuple écossais tout en tenant compte des réalités politiques. Ce document propose que l’Écosse adhère à l'Espace Économique Européen (comme la Norvège), solution pour que l’Écosse garde ses liens avec l'Europe.
Cette solution malheureusement n'a guère été audible lors du tohubohu des dernières élections législatives britanniques ce qui peut en partie expliquer le recul du SNP (qui a gardé cependant la majorité des sièges écossais à Westminster). Et il est vrai aussi que l'actuel gouvernement britannique particulièrement arrogant rejette toute concession et la désormais très affaiblie Premier ministre refuse même de rencontrer notre Premier ministre, Nicola Sturgeon.
Cependant, le temps fait son œuvre. Chaque mois passant, l’Écosse renforce sa position pro-européenne alors que Londres s'enferme dans son isolationnisme et sa position s’affaiblit jour après jour. Comme l'a indiqué le Financial Times, Londres n'a que 3 solutions de sortie de négociation : la pire des humiliations, une grande humiliation ou simplement une humiliation. Pour paraphraser nos voisins irlandais : « les difficultés de l’Angleterre sont une opportunité pour l’Écosse » .
Ce dont nous avons besoin maintenant , ce n'est pas uniquement des encouragements et de la bonne volonté de la part de nos partenaires européens : nous avons besoin d'un soutien clair et concret dans le combat contre ce que représente le Brexit pour construire une Europe dans laquelle toutes les nations auront leur place. Ou comme le dit le grand poète Hamish Henderson dans son hymne Freedom Come All Ye :
So come all ye at hame wi Freedom Never heed whit the hoodies croak for doom In your hoose a’ the bairns o Adam Can find breid, barely-bree and painted room