Partager la publication "[Critique] LOGAN LUCKY"
Titre original : Logan Lucky
Note:
Origine : États-Unis
Réalisateur : Steven Soderbergh
Distribution : Channing Tatum, Daniel Craig, Adam Driver, Riley Keough, Seth MacFarlane, Katie Holmes, Hilary Swank, Katherine Waterston, Dwight Yoakam, Sebastian Stan…
Genre : Comédie/Thriller
Date de sortie : 25 octobre 2017
Le Pitch :
Deux frères pas spécialement gâtés par la vie décident de monter un casse afin d’empocher les recettes de la plus importante course de stock-cars des États-Unis. Pour cela, ils vont faire appel à un spécialiste des coffres-forts. Un homme qui malheureusement, croupit en prison…
La Critique de Logan Lucky :
Il avait dit que pour lui, le cinéma, c’était terminé. Qu’il ne réaliserait plus mais qu’il se réservait le droit d’exercer à sa guise ses autres compétences, à la production ou autre. Steven Soderbergh, qui après avoir réalisé Effets Secondaires pour le cinéma et après avoir tout cassé à la télévision, sur HBO, avec Ma Vie avec Liberace, le tout en 2013, devait s’offrir des vacances à durée indéterminée. Et puis il est revenu, à la télévision, avec la remarquable série The Knick, là encore avec succès. Critique tout du moins. Un show parfaitement calibré, aussi beau visuellement qu’intense, qui a duré deux saisons, conformément à la volonté de Soderbergh et malgré les doléances des fans. De quoi espérer un revirement ? Soderbergh commençait-il à s’ennuyer ferme ? Allait-il lui, aussi, à l’instar de beaucoup d’autres, revenir pour de bon ? Des questions qui ont trouvé leurs réponses avec Logan Lucky, qui marque donc le retour du réalisateur… Un Soderberg au mieux de sa forme qui pourrait bien signer ici son meilleur film. Non !? Si, si…
Ocean’s Eleven sans la veine et sans la classe
Est-ce un hasard si Steven Soderbergh a choisi de renouer avec la mise en scène avec un film de braquage, lui qui reste connu du grand public pour sa trilogie Ocean ? Peut-être pas non. Car sur bien des aspects, Logan Lucky se pose comme une déclinaison d’Ocean’s Eleven. Soderbergh l’affirme d’ailleurs lui-même au détour d’un clin d’œil savamment positionné dans le récit. Logan Lucky qui raconte donc comment deux frangins un peu poissards et pas du tout enclins à se balader en costumes Armani dans les casinos les plus prestigieux de la planète, décident de tenter le tout pour le tout en braquant une course de Nascar lors de l’un des événements les plus retentissants, aux États-Unis. Et alors que Ocean’s Eleven et ses suites prenaient justement le soin de tabler sur la classe des acteurs et sur le caractère impossible des braquages, Logan Lucky fait un peu tout l’inverse. Du moins en apparence car au final, il s’agit bien d’un authentique film de braquage aussi bluffant que les meilleures références du genre. Le génie du film réside en partie dans la nature de la démarche. Dans cette nonchalance lisible à la fois dans le scénario et dans la mise en scène, qui adopte une rythmique que viennent nourrir les comédiens, tous parfaitement à leur place dans des rôles savoureux au possible. Une démarche qui permet non seulement à Soderbergh de ne pas se répéter, mais aussi de livrer une réflexion beaucoup mieux sentie et pertinente qu’avec ses Ocean’s, tout en proposant un spectacle enjoué, plus atypique que prévu et au moins aussi jubilatoire qu’espéré.
Country Roads…
Dans l’Amérique de Trump, Logan Lucky sonne comme un véritable cri venu d’en bas, en faveur de ceux que l’on pourrait considérer à tort comme les artisans de la victoire de l’ex-star de TV réalité. Les loosers qu’incarnent Channing Tatum, Adam Driver, Riley Keough et Daniel Craig s’avèrent ainsi beaucoup plus attachants que les winners jadis joués par Clooney et sa troupe. Logan Lucky est un film sur cette Amérique qui vibre au son des chansons de Johnny Cash et de John Denver (qui est brillamment mis en avant, comme dans Kingsman 2). Il se focalise sur les oubliés du rêve Américain qui considèrent la poisse comme une partie intégrante de leur existence, mais qui, dans un sursaut inespéré pour conserver leur dignité et peut-être sauver la mise au dernier moment, décident de faire appel à leur audace pour tenter le tout pour le tout. Le titre du film faisant directement référence à la malchance qui serait responsable de tous les maux qu’ont dû encaisser les membres de la famille Lucky à laquelle appartiennent les protagonistes campés par Tatum, Driver et Riley Keough.
Steven Soderbergh a donc profité de ce contre-Ocean’s Eleven pour orchestrer la folle aventure d’une bande de pieds nickelés aussi attachants qu’hilarants. Sans jamais verser dans la bouffonnerie totale, il vient faire du pied aux frères Coen et parvient à extirper des mésaventures parfois cocasses, une certaines émotion. Mais en fait, peut-être pas car on sait que le scénario fut écrit sous un pseudonyme et il se murmure que ce sont justement les Coen qui seraient derrière Logan Lucky.
Un film colorée qui sait jouer sur les ruptures de ton, comme avec cette séquence en forme de parenthèse enchantée, qui colle d’emblée la chair de poule, et qui voit une petite fille chanter pour son père, alors que celui-ci observe au loin, à une distance qui correspond à son statut d’outsider constamment sous-estimé et mis au ban d’une société qui n’accepte pas plus l’échec que certains travers.
Physiquement diminués, psychologiquement un peu à la ramasse, les héros de Logan Lucky n’en sont pas du tout et c’est ce qui fait tout leur charme. Des anti-héros donc que Soderbergh filme avec une certaine affection, mettant tout son talent à leur service pour au final réinventer sans avoir l’air de le faire des codes qu’il a lui même exploité jadis.
… Take Me Home
Porté par un casting aux petits oignons aussi stimulant que brillamment exploité, Logan Lucky dévoile ses cartes petit à petit, sachant parfaitement entretenir une sorte de suspense, tout en se montrant particulièrement généreux côté comédie, grâce à une verve hilarante. À total contre-emploi, trouvant l’un de ses meilleurs rôles, Daniel Craig est incroyable. Adam Driver aussi, lui qui n’en finit plus de prouver sa capacité à embrasser des styles radicalement différents, alors que Riley Keough étonne à nouveau, elle qui retrouve son producteur de la série The Girlfriend Experience. Difficile également d’ignorer le talent de Channing Tatum. Attendrissant, il fait montre d’une totale compréhension du personnage et fait partie de ceux qui instaurent ce savant équilibre entre pure comédie, satire et drame doux-amer.
En connexion avec quelques-unes des préoccupations sociétales les plus brûlantes, Logan Lucky tire sa force de sa capacité à surprendre sans sacrifier sa pertinence. Remarquablement écrit, il permet à Soderbergh de faire un retour en grâce total, lui qui a su s’approprier le récit pour en remodeler les contours suivant sa propre sensibilité. Plus insaisissable que jamais, il a à nouveau fait fort.
En Bref…
Aussi jubilatoire que pertinent dans ses thématiques, mais également extrêmement drôle, ludique et attachant, Logan Lucky sonne comme une évidence. Une déclinaison d’Ocean’s Eleven avec des bouseux en lieu et place de gentlemen, qui s’avère non seulement plus drôle mais aussi plus consistante, et cela même si il est parfaitement inutile de faire la comparaison pour s’apercevoir de la maestria formelle et narrative de ce petit bijou.
@ Gilles Rolland