L'univers papier est en voie de disparition.
Journaux, magazine, livres, tout est à moyen ou long terme porté à céder sa place à l'océan virtuel.
Nos tout petits téléphones portatifs peuvent porter tous les mots de la terre, toutes les nouvelles, toute la musique mondiale.
Il faut faire preuve d'une certaine audace pour réussir à attirer l'attention du lecteur et réussir aussi à lui faire acheter votre produit, version papier. Mais le jugement doit être au rendez-vous.
Le magazine musical français Les Inrockuptibles ont commis la même faute morale que le magazine (musical aussi) Rolling Stones il y a quelques années, afin d'attirer l'attention sur son magazine. Ça semble une musique de journalistes musicaux. Une musique qui sonne faux pour la plupart.
Les Inrockuptibles ont eu la très mauvaise idée de mettre en Une de leur magazine d'octobre, Bertrand Cantat, ex-chanteur de Noir Désir, mais dont le nom d'assassin lui a été collé au corps plus souvent depuis août 2003. Parce que son corps circule toujours parmi nous. Celui de l'actrice Marie Trintignant, qui, 18 mois avant le 1er août 2003, commettait une erreur fatale en faisant entrer Cantat dans sa vie, n'est plus parmi nous. Son corps, désarticulé et défiguré, a été inhumé au Cimetière du Père-Lachaise. Cantat l'a tué de ses poings dans une scène de jalousie dont l'ignominie est insoutenable.
Cantat a été jugé pour son geste et condamné à 8 ans de prison. 4 ans après le meurtre, Cantat a droit à de discrètes sorties. La même année, il sera libre comme l'air, un air à jamais toxique. Libre, moyennant une certaine supervision et avec promesses de consultations psychologiques.
Depuis 2011, Il n'y a plus aucun suivi autour de Cantat. Il peut bien faire ce qu'il veut. Mais les gens ne veulent plus de lui. Ils le veulent inaudible, absent. Ils veulent lui rappeler en tout temps qu'il a oublié de mourir lui aussi ce soir d'été 2003.
L'article des Inrockuptibles fait absolument fi du grave incident Trintignant. C'est un ami qui le passe en entrevue. On a tourné la page. Pas le monde.
Il est là, le crime des Inrockuptibles. La banalisation d'un geste impardonnable.
Pardonner l'impardonnable est extraordinairement complexe. Et ce n'est pas une foule, une masse qui y arriverait facilement.
Aux États-Unis, le magazine musical Rolling Stones s'est commis 3 fois de la sorte. On a mis Lee Harvey Oswald, assassin présumé de JFK, en Une, John Wilkes Booth, assassin du président Abraham Lincoln et plus récemment, Dzhokhar Tsarnaev en Une aussi de leur magazine qui ne se limite pas qu'à des articles sur la musique, mais parle aussi beaucoup de la société des États-Unis.
L'envie de sensation recherchée par chaque Une a fonctionné. Il y a eu tonnerre. Un tonnerre absolument non nécessaire.
Des voix que l'on voudraient tues comme celles de leurs victimes.
Dans les cas de Wilkes Booth, Oswald et Tsarnaev, on ne les faisait pas parler, les deux premiers étaient morts quand on en a fait le portrait. On s'est contenté de leur donner la gueule du "voyou charismatique issue de notre violente société"en Une et d'en faire le sombre portrait dans leurs pages. Au contraire des Inrocks, on les titre pour ce qu'ils sont reconnus: le tireur, l'assassin, le bombeur.
Cantat, pour bien des gens, n'est même plus un artiste.
Sa voix est celle d'un assassin de femme.
Dans le numéro des Inrocks, on jase entre amis, de son avenir, de ses projets actuels, son nouveau band, son nouvel album.
On prend le thé en enfer. Le monstre est volontairement caché.
Le monde ne veut plus de cette voix qui a effacé l'autre.
Pratique le catimini, Bertrand. Ai l'humilité de te faire oublier.
Tu n'es plus bienvenu publiquement.
Sommeille.
Si tu n'y arrives plus, c'est pas anormal.
Place-toi alors en dormance.
La magazine Elle France, a eu la plus jolie des réponses aux Inrocks.