Auteur-compositeur-interprète, Thierry Gaillard, est élève de Lee Lozowick, dans la tradition des Bâuls d'Occident, cousins des musiciens mystiques du Bengale. Il a fondé le groupe « Manny », qui se produit régulièrement en Europe, et notamment en Allemagne où les médias Vont surnommé le poète rock. Il est l'auteur du roman initiatique Le Grand Singe à la fissure dans le cœur (Ed. Charles Antoni / L'Originel) dans lequel il conte avec humour le chemin d'un jeune endormi en quête de sens, jusqu'à la rencontre avec son maître.
"Si je m’endors, me réveillerez-vous ? ", demande Claudio Capéo dans sa chanson L’homme debout.
Un cri du cœur authentique, qui inspire ma nature romantique et sert parfaitement la cause d'un refrain. Le cri d’un cœur affamé de la beauté objective des profondeurs, malmené par un monde moderne déshumanisé. Un appel sincère mais qui ne reflète guère la réalité brute d’un chemin spirituel, mains plongées dans le cambouis du façonnage de l’être.
Dans mon expérience, la réalité est plus proche d'un « je dors » suivi de « et je ne veux pas être
réveillé ! Le bureau des réclamations est fermé, ne repassez pas demain ».
Bien sûr, je clame le contraire et je n’ai rien d'un hypocrite. J’ai vraiment, au fond du cœur, cette nostalgie d’une condition d'homme libre du chaos des émotions. J’ai soif d’absolu et je suis prêt à faire certains efforts.
C’est ainsi qu’au cours de mes pérégrinations quêteur de sens, je me suis retrouvé à boire potions magiques autour de la marmite des chamanes amazoniens. En état de transe répété, j’étais convaincu de mes percées vers des niveau de conscience élevés. Un feu d’artifice de visions fortes, que je considérais comme autant de réveils, comblant ma fascination pour les expériences spectaculaires.
Lorsque, gavé de potion magique qui donne une force surhumaine, je rencontre Lee Lozowick, j’ignore tout de la relation d’un maître à son élève.
Un maître ? Pas vraiment, non merci, j’aime plutôt bien ma façon de voir les choses. Dans le langage des Dupont-Dupond : « Je dirais même plus, c’est mon avis et je le partage. »
Mais quelque part, une petite voix souffle des airs de « pourquoi pas » ? Après tout, un enseignant spirituel, reconnu comme tel, validera peut-être mon auréole d'apprenti saint qui s’apprête à illuminer le firmament ? Je flotte alors sur les hauteurs d’un cumulo-nimbus grisâtre qu’en toute bonne foi je vois rose ou proche du blanc immaculé.
En bien peu de mots, Lee s’emploie à me ramener sur terre. Peu de verbes et beaucoup d'amour, sans complaisance.
À la lettre que je lui envoie, description jolie de mes prises de conscience éclairées, il me répond, en grosses lettres noires en travers de page :
« CRAP CRAP CRAP, only mind, RELAX ! » (de la merde, de la merde, de la merde, que du mental, détends-toi !). Je reste interdit, la mâchoire au sol, façon loup Tex Avery, stoppé net dans des élucubrations mentales qui pensent savoir penser juste...
Si je m'endors, réveillez-moi !
Je le demande le cœur sincère, mais que suis-je prêt à recevoir, hors des sentiers balisés de mes préférences personnelles et de mes tendances psychologiques ?
Lee raconte l’histoire d’une de ses élèves, de famille fortunée, aux dehors très soignés, qui luidemande une tâche pour travailler au corps la mécanique de l’ego. Alors qu’elle est prête à s’investir dans une action forte, aller ramper dans la boue des bidonvilles pour servir la soupe aux démunis, Lee lui propose, en guise de mission, de ne plus porter aucun maquillage ni vêtement chic pendant un certain temps. Il décrit l’air horrifié de cette femme à l’idée de ce défi insurmontable.
« Moi » a ses limites. La voie rabaisse mes prétentions.
Grow up ! (Grandissez !)
Un mot, deux en anglais, que Lee Lozowick a hurlé à ses élèves dans les dernières années de sa vie et qui résument l’ensemble de la voie.
L’enfant timoré qui a dirigé la majeure partie de ma vie lui en a voulu de la brûlante simplicité de cette affirmation aux contours bien trop réels. Ce même enfant qui se rêve lancé sur les traces de Ramana Maharshi et se retrouve brutalement ramené au constat décevant de devoir seulement... grandir ?
Il n'a pas dit : « Tout n'est qu’amour, beauté et illusion. asseyez-vous au pied d’un arbre pour contempler le silence et la vacuité de votre être profond. »
Au lieu de cela, il a hurlé : « Grandissez ! », en alternance avec un sourire d’une tendresse à dégeler les cœurs les plus endurcis. Le chaud et le froid en guise de bain-marie écossais et mon cœur qui fond à petit feu.
En d’autres mots, « incarnez des qualités d’adulte en prenant la responsabilité de pratiquer ».
Un ami était plongé dans une grande confusion, douloureusement tiraillé entre plusieurs options, dans un de ces virages de vie que nous connaissons tous. En désespoir de cause, coincé dans un cul-de-basse-fosse intérieure, il décide de solliciter l’aide de son maître : « Lee, je suis si perdu que je suis prêt à faire n’importe quoi. Donnez-moi une instruction et je la suivrai. » Réponse : « OK, je veux que tu fasses un choix. »
Un jour, je lui demande de m’aider à clarifier pourquoi j’ai du mal à mettre de l’énergie dans ce qui est vraiment bon pour moi. Sa réponse :
« Clarify what ? Lazy is lazy. Your loss, my friend ! » (Clarifier quoi ? Quand on est paresseux, on est paresseux. C’est toi le perdant, mon ami !)
Caramba ! Ça coince aux entournures. Mon cri d’enfant: « S’il vous plaît, pouvez-vous me réveiller ? »
Le facteur de réveil n’a que rarement l’odeur que je lui prête dans mon imaginaire fécond.
Déçu par l’échec de bon nombre de relations amoureuses, j’avais décidé que le statut de célibataire me convenait à merveille. Plus besoin d’affronter les écueils de la vie de couple et même l’occasion d’embrasser enfin une vie plus contemplative. « C’est mon chemin, j’en suis certain... » Cause toujours. Au contact de la voie que propose mon maître, au fil des ans, cette idée a dérapé et j’ai tout naturellement glissé dans le feu d’une relation intime, avec laquelle j’apprends aujourd’hui ce que cent ans de célibat ne m’auraient jamais enseigné : construire l’amour, lentement, un pas après l’autre, et prendre le risque de la vulnérabilité. Vous voulez être réveillé ? Essayez de jouer au plus malin et de (vous) mentir au nez et à la barbe de votre conjointe...
Lee disait parfois : « Si vous voulez savoir quelque chose à votre sujet, demandez à votre épouse (ou votre époux). »
Rêver que des heures sur Youtube, à boire les paroles du nouvel « éveillé » à la mode, m’apporteront les secousses nécessaires à une maturation de l’être, est une activité vouée au même succès que d’enseigner les règles de la marelle à un cochon de lait.
Ce qui, au quotidien, m’extirpe de ma condition d’endormi n’est pas l’éblouissant fracas d’un mur de pénitencier qui vole en éclats, mais plutôt le long et patient crissement de la lime sur les barreaux, petit geste répété chaque jour avec précision. En un mot : la pratique.
Quelle pratique ? Simplement ce que mon maître me propose de pratiquer. Un ensemble de recommandations (jamais d’obligations, le fameux libre-arbitre. oui ou non. ai-je envie d’être heureux ?), actives, disponibles, même en son absence physique. La pratique établit une connexion entre mon cœur et le courant de bénédictions de la lignée de grandes âmes dont mon maître est un représentant. J’en ai besoin, c’est vital. Sans cette force, infiniment plus grande que le meilleur de mes ressources personnelles, sans le cœur du maître et de ceux qui l’ont précédé, je ne suis qu’une plume livrée aux tourmentes de l’océan. Un frêle esquif condamné aux illusions colorées d’un cocktail spirituel, d’expériences capiteuses glanées au hasard de mes attirances subjectives, ne franchissant jamais d’autre seuil que celui de ma préférence du moment.
Ce qui me réveille est une lente infusion, distillée au compte-gouttes, à la mesure de ma volonté de mettre en pratique, dans un contexte donné, des recommandations qui ont fait leur preuve.
Pour aller plus loin :
www.manny.ch
extrait du magazine Source 2017
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