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(Note de lecture) Frédéric Fiolof, "La magie dans les villes", par Tristan Felix

Par Florence Trocmé

Fiolof  la magieLe jour même je me trouvai, je ne sais comment, rejeté du pays de la Magie. Cet exergue du Michaux d’Ailleurs revendique la filiation de l’auteur avec le grand voyageur des pays intérieurs. Je n’en ai pas tout à fait fini avec la magie dit toutefois la fée à l’issue du recueil de Frédéric Fiolof. Dès les premières lignes de ce qui n’est pas du tout un roman mais à peine un hoquet de l’âme, voire – renchérissant sur l’avis de la fée - 109 (sang neuf) bris souverains du fantôme-même de la littérature qui hante le langage comme une maladie précieuse, au lecteur est confisqué toute tentative de fuite vers la sinistre réalité des romans auto-fictifs - lesquels ne vivent que d’entrejambes et d’entregent, ventousés à une langue piètre de supermarché. Un matin, en descendant les poubelles, il s’est aperçu que le mur qui séparait son immeuble du cimetière avait disparu. Tout soudain, comme un sésame, la porte de l’ailleurs s’ouvre sur les morts, et sur les vivants, auxquels l’auteur dédie son livre, sur les restes aussi, de la maison, de la famille, de la ville.
Les nombreux cas de disparitions possèdent ce pouvoir magique de transporter dans l’au-delà ou l’en-deçà, d’effacer les frontières entre ce qui existe et ce qui n’existe pas, entendons-nous, entre ce qui a été classifié (un pour cent peut-être du réel) et ce qui ne peut l’être parce qu’il appartient à l’imagination du poète ou du penseur, rendu à l’irréductible hésitation de la pesée du monde (« penser » et « peser » sont siamois). L’imagination est un copain qui se souvient à votre place. Voici bien le comble de l’étrangeté à soi-même, de la dépossession au profit d’une immixtion dans d’infinis microcosmes de la vie. Si je n’y suis pas c’est que forcément je suis ailleurs. Cet alibi qui fait du dedans de soi son dehors absolu permet l’accès à tous les possibles, non tant par le rêve ou le délire imaginatif, mais par une conviction que rien encore n’est joué, que les combinaisons pullulent comme des galaxies. C’est pourquoi à aucun moment le lecteur ne devine quelle phrase va lui advenir. Nettoyé de ses a priori, de ses horizons d’attente, de ses cadences familières, il s’enchante de ce perpétuel brouillage de pistes. Balloté sans rames par la langue, seule capable d’inventer des règnes, jeté à même la rue, sans domicile fixe, il vit en immersion totale dans tout ce qui n’est pas lui.
La grande réussite de ce recueil c’est paradoxalement de s’en tenir avec rigueur à cette règle suprême du désarroi, comme en un exercice spirituel. La magie est une opération noire ou blanche qui consiste à produire des phénomènes inexplicables par des moyens surnaturels. Le phénomène de la pensée, son action sur le corps, sur le réel et sur elle-même est littéralement magique lorsque la langue s’en empare comme d’un fluide prompt à toutes les métamorphoses. Sans doute faut-il une certaine dose d’autohypnose pour parvenir à faire se lever instantanément autant d’ombres. Ainsi celle, illuminée, de Robert Walser, qui s’épuisa jusqu’à la mort dans une promenade dans la neige au sortir de sa clinique psychiatrique. L’on songe aussi à celle, allumée, de Hans Christian Andersen, plus ancienne, sans doute inconsciente, peut-être ignorée, qui voyagea lui aussi, enfant de gueux, et dont les contes, hantés par le frémissement d’êtres friables mais déterminés, ont ce charme, cette élégance et cette rageuse bienveillance animiste des textes écrits pour ne pas mourir. L’écriture semble ici une maladie contre la santé orpheline que diagnostique la femme du personnage principal, créature altérante, en contre-point, voire en opposition. Etre orphelin, c’est être enceint de soi-même, comme tout héros de fiction qui s’origine dans la langue. On songe aux vers du Cyrano de Rostand, aux terreurs bouffonnes de Prévert, à l’étrange cinéma d’Aki Kaurismäki, hanté par l’oubli et les laissés pour contes mais visité par les anges, servi par cette pareille méticulosité, quasi obsessionnelle et désespérée, dans la façon de faire surgir une œuvre poétique où tout est faux, anachronique, monté de toutes pièces.
Comment alors est-il possible de ressentir un tel pouvoir du réel - disons, de notre rapport au réel –, une telle empathie pour le vivant par le seul truchement de l’imaginaire ? C’est un peu magique ces cercles parfaits que dessine autour d’elle une pierre lancée dans l’eau. Même les yeux fermés, on atteint toujours la cible. Nous nous abstiendrons de toute réponse ainsi que de toute théorie qui risqueraient de décolorer la grande mélancolie, la subtile tristesse, l’humour irrésistible et la philosophie de l’indicible dont tout l’ouvrage est empreint. Pour ne pas détimbrer la note bleue de ce merveilleux recueil qui nous a fait pleurer et rire, protégeons précieusement le mystère de cette écriture savamment simple et indiscutablement fée. J’en lisais encore un extrait hier, dans la rue, à une amie de passage, sous un réverbère dégingandé.
Descendant de Michaux, certes - mais celui-ci n’eût-il existé que Frédéric Fiolof n’eût pu retenir ce désespoir farcesque qui déjà taraude Villon. Il n’allait quand même pas se mettre à décevoir un mort.
25 septembre, 2017 Saint-Denis-les-Fada.
Tristan Felix
 
Frédéric Fiolof, La magie dans les villes*, Quidam éditeur, 2016, 103 p.
12 €
*L’auteur publie ici le premier recueil d’une suite que nous lui souhaitons nombreuse, et anime depuis 2015 sa belle revue littéraire, La moitié du fourbi.


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