Elle s'adresse à tout le monde, les entendants comme moi, les malentendants comme peut-être vous. D'ailleurs elle n'emploie pas ce mot si policé mais celui de sourd, tout simplement, parce que ce qui fait mal ce sont les idées reçues, pas les mots.
C'est donc un spectacle "bilingue", qui est traduit par Maylis Balyan pendant que Mathilde chante. L'artiste sourde (à droite sur la photo) fait bien davantage que traduire. Elle a fabriqué des signes pour ce spectacle.
C'est une interprète à part entière et son art s'appelle "chantsigne", un terme qui signifie la chanson signée, une spécialité que Mathilde connait et apprécie depuis très longtemps. Son envie d'écrire un spectacle engagé bilingue, sans se "satisfaire" d'inclure le signe en bord de scène, car il était hors de question de la stigmatiser. Elle tenait au contraire à en faire un élément central, et ce désir remonte à loin. La chanteuse emploie aussi bien le mot vusicalité qui n'est rien d'autre qu'une musicalité visuelle.
Si elle a l'habitude des "tours de chants", comme on dit, c'est par contre le premier spectacle dont elle assure elle-même l'écriture et il dégage une très forte émotion en raison (aussi) d'une mise en scène soignée, signée par Colombe Barsacq qui a déjà une dizaine d'expérience dans ce domaine du chantsigne et qui s'est emparée du projet. J’ai vu le spectacle à son début et la représentation dégageait déjà quelque chose d'exceptionnel.
Mathilde a écrit un vrai dialogue (elle dit duologue) permis par la langue des signes, l'histoire de deux femmes, qui se construit en miroir, autour de sentiments universels. Il s'agissait aussi de montrer aux entendants, et pas seulement à une minorité handicapée, combien le chantsigne pouvait être ... tellement beau et évident.
Le grand public avait été ému au cinéma par la Famille Bélier, dont le scénario a été imaginé il y a trois ans à partir de la véritable expérience de Véronique Poulain. Mathilde va bien entendu plus loin.
Il est important pour les sourds de voir la langue et le nombre de chantsigneurs ne cesse de croître. La France a néanmoins encore plusieurs longueurs de retard sur ses voisins américains.La loi de 2005 avait initié un grand élan en faveur des personnes atteintes d’un handicap. Elle n’a hélas pas rempli ses objectifs et l’Education bilingue est très loin des besoins. Une interprète en Langue des signes est présente tous les samedis au studio Hébertot de manière à ce que les sourds soient totalement mis à l'aise.
Mathilde s'adresse à son cher journal
Elle le fait de manière à ce que chaque spectateur se sente impliqué. Elle a repris des chansons qui étaient déjà écrites en grande partie pour son premier album. Elle en a conçu quelques autres, qui convoquent des images poétiques en accord avec le rythme de la musique, comme Il était une fille, sur le sujet de la violence, magistralement signée par Maelys.Parfait équilibre entre les deux cultures, la culture musicale et la culture sourde
A la toute fin les artistes enseignent un signe à l'ensemble des spectateurs, dont la signification est symbolique : ensemble. Et la salle entière le reprend.
Je les signe tous de Mathilde et Alexis Pivot
Avec Mathilde, Maylis Balyan, Vladimir Medail, Antoine LaudièreMise en scène de Mathilde de Colombe Barsacq tous les samedis à 17 heures jusqu'au 6 janvier 2018Au Studio Hébertot - 78 bis boulevard des Batignolles - 75017 ParisLes photos qui ne sont pas logotypées A bride abattue sont de Christine Coquilleau