" La danseuse s'est relevée pour quitter la scène, entièrement nue, alors qu'une autre fille, sortie d'on ne sait où, prenait sa place sur la barre métallique. La première strip-teaseuse s'est mise à déambuler autour de nous. Sa peau maquillée, son sexe rasé, ses longs cheveux blonds lui donnaient un air inquiétant, un air de succube ou d'ange. Volodia lui a mis une main au cul, sonore, avec un air royal. La deuxième fille a achevé son numéro, je ne l'avais même pas regardée. Elle était brune, elle nous a tourné autour, seins plus gros, jambes d'athlète ; puis une troisième est arrivée, puis une quatrième, puis une cinquième, elles sortaient d'une loge minuscule à côté du bar, je me suis demandé combien il pouvait y en avoir, dix, vingt, trente, ou peut-être étaient-ce les mêmes qui se changeaient, je n'en sais rien. J'ai eu soudain une sensation d'une tristesse infinie, je ne sais pas pourquoi, peut-être parce que j'étais incapable de ressentir du désir pour elles, que j'aurais voulu être Volodia, un prince égrillard, capable de fesser gentiment les femmes nues, sans honte, sans regrets, de leur proposer de s'asseoir sur ses genoux, de les faire couiner en leur pinçant les seins alors qu'à moi elles m'inspiraient juste une immense mélancolie..."
Mathias Énard : extrait de " L'alcool et la nostalgie" Éditions Inculte, 2011