Hyperréalité, ubiquité, relativité, connectivité… Autant de possibilités offertes par le numérique. Mais comment les équipements et les acteur culturels s’approprient le numérique dans leurs politiques, leurs actions à destination des publics ?C’est la question qui était posé lors de cet atelier organisé dans le cadre du Forum Entreprendre dans la Culture – Grand Est à Nancy (20 octobre 2017).
Révéler, recontextualiser, rendre présent…
Premier exemple : le Palais des Ducs de Lorraine de Nancy, représenté par son directeur, Richard Dagorne. Le musée est actuellement en rénovation et réouvrira en 2023. La rénovation prévoit la refonte du parcours de visite et le déploiement du numérique sur celui-ci. Le Palais des Ducs de Lorraine est un musée d’histoire. Il possède des objets divers (beaux-arts, mobilier, archéologie). Pour beaucoup de ces objets, il convient de les faire parler. Tout seuls, extraits de leur contexte, ils ne « racontent, en effet, pas grand chose.
- Le numérique permet ainsi de rendre une oeuvre plus accessible. Par exemple : un objet de grand format parsemé de détails, un objet qui ne peut être touché manipulé… Le numérique va pouvoir apporter du complément, augmenter l’expérience de visite, avec par exemple, une modélisation 3D, un zoom sur l’oeuvre.
- Il permet de restituer l’usage de l’objet, de le recontextualiser… Pour beaucoup d’objet présentés (notamment les objets archéologique) la présentation muséographie – au delà d’un aspect esthétique – présente certaines lacunes. Le numérique peut permettre d’expliquer à quoi sert l’objet historique, dans quel contexte il est utilisé…
Recontextualisation de l’objet : Autel à Hercule Saxsetanus
- il permet d’illustrer une hypothèse : l’hypothétique reconstitution d’une parure textile sur du mobilier par exemple.
Reconstitution de la parure textile du lit du duc Antoine de Lorraine et de Renée de Bourbon
- Il permet de rendre présentes dans le musée des oeuvres qui ne le sont pas (issues de collections d’autres musées) mais qui permettent d’apporter au discours historique. Le numérique peut ainsi suppléer certaines lacunes dans les collections.
Créer du lien, expérimenter avec les publics
La problématique est différente au Muséum Aquarium Nancy. Ce Museum d’Histoire Naturelle privilégie une approche transversale et pluridisciplinaire. Le rapport à l’objet de la collectioin n’est pas l’objectif premier. L’objet est plutôt là pour servir un sens global. Le numérique sert donc à apporter un dispositif qui permet d’expliquer un concept, de l’illustrer.
Extrait du web documentaire : ces animaux qu’on mange
Les outils présentés par Lucile Guitienne : web-documentaire, animation, outils interactifs… ont la particularité d’avoir été expérimentés sur le terrain avant leur mise en place. Lors de séances avec des scolaires, d’ateliers proposés aux jeunes publics, les dispositifs ont été évalué de différentes façons. Cela permet d’évaluer la capacité des enfants à se saisir de l’outil numérique, mais aussi à comprendre un concept global. Et par ailleurs, vérifier qu’il prennent du plaisir.
Numérique et médiation humaine
Le numérique est-il appelé à devenir le seul médiateur ? Pour Richard Dagorne, la dimension humaine va perdurer.
« le numérique rajoute des fonctions qui n’existaient pas avant dans le le parcours de visite. Mais il faut garder un équilibre pour que le point d’attention reste l’objet historique plutôt que l’outil numérique»
Il répond à la prédominance de la notion d’expérience dans les musées : expérience du visiteur, expérience de visite. Emmanuel Verges, directeur de l’Office à Marseille et modérateur de l’atelier, rappelle quant à lui :
« il convient de s’interroger sur les pratiques de médiation avant de travailler les outils.”
Le numérique, hameçon à public ?
Pour Gaétan Gromer, artiste et compositeur de Les Ensemble 2.2, (ce collectifs d’artistes s’interroge sur les usages technologiques), le numérique est tout sauf « un gadget ». Au travers d’applications ou de dispositifs numériques, il apprend à des néophytes à composer ensemble, leur rend la musique contemporaine accessible. Le numérique peut permettre d’enlever le filtre, l’aspect “institutionnalisé” des choses.
Mais il précise cependant :
« C’est parce que ma démarche s’intéresse aux gens que les gens s’intéresse à ma démarche ».
En s’intéressant à la vie d’habitants des quartiers de Strasbourg, l’artiste va la rencontre des publics. Et ainsi, ces publics s’intéressent à la technique, aux arts numériques, à la musique contemporaine.
Alors le numérique permettrait-il de toucher de nouveaux publics ? Pour Lucile Guitienne, cela est difficile, dans la mesure où il est difficile de coller aux pratiques liée au numérique qui évoluent rapidement. Et, comme elle le précise, certains outils conçus pour certains publics conviennent finalement à d’autres (par exemples des outils ludiques conçus pour des enfants qui plaisent à des étudiants) !
« Il y a 15 ans, c’était une idée géniale de mettre des télévision dans les musées. Avant de se rendre compte que cet outil ne convient pas ».
Même constat au Palais des Ducs de Lorraine :
Notre parcours de visite va rouvrir en 2023. Or comment se projeter si loin en ce qui concerne le numérique ? Bien malin qui peut imaginer en 2017, les outils numériques dont on se servira en 2023 ?
Difficile sur cette temporalité d’avoir un temps d’avance…
Ne faut-il pas juste se poser la question : pourquoi le public ne vient pas ? Force est de constater que l’outil numérique est impuissant face à celle-ci. Comme le précise Gaëtan Gromer :
« C’est un outil comme un autre, comme un stylo ou pinceau »
Tester / évaluer les dispositifs
Qui doit numérique doit investissement. On ne peut plus se permettre de « bricoler ». Mais qu’apporte cet investissement ? Tester avant de mettre en place est une solution, comme c’est le cas au Muséum Aquarium de Nancy.
Même idée au Palais des Ducs de Lorraine : les premiers outils numériques ont été testé lors de La Nuit des Musées et certains des premiers contenus crées ont été mis en ligne sur le site internet du musée (voir plus haut).
Conclusion :
Les outils de médiation numériques sont attractifs, il peuvent apporter de l’interactivité, du complément que les outils numériques peuvent apporter à l’expérience de visite… Ils peut apporter au lieu culturel une image nouvelle. L’idée que, comme l’on exprimé certains visiteurs-testeurs lors de la Nuit des Musées :
“La modernité est entré au musée”
Par contre, le numérique ne résout pas tous les problèmes à lui tout seul. Il ne semble pas, par exemple, régler la question de la fréquentation. On ne peut s’empêcher de penser à l’histoire du Viseur Norden, raconté par Malcom Gladwell et sa conclusion :
Nous pensons que ce nous fabriquons peut résoudre nos problèmes… Mais nos problèmes sont plus complexes que cela
Malcom Gladwell : l’étrange histoire du viseur Norden