Les femmes ne SE FONT pas (harceler, violer, etc.), elles SONT (harcelées, violées, etc.). Les mots ont un sens.
On entend plus souvent l'expression « se faire » (cambrioler, licencier, violer…) plutôt que « être » (cambriolée, licenciée, violée…). Sans doute parce qu'il est plus facile d'utiliser un infinitif que d'accorder un participe passé, en témoigne les erreurs fréquentes (y compris « elle s'est faite renvoyer »). La formulation avec « se faire » est en effet plus facile, puisqu'immédiatement suivi d'un infinitif, le participe passé du verbe « faire » est invariable : « elle s'est fait renvoyer ». Ça reste plus simple que de conjuguer le verbe être avec un auxiliaire en accordant correctement : « elle a été renvoyée ». Pourtant, ces deux phrases ne sont pas équivalentes.
Être ou se faire, telle est la question…
Il y a une différence de sens entre les deux formulations : « il s'est fait aimer de tous » n'a pas la même signification que « il est aimé de tous ». L'emploi du verbe « se faire » indique une action, une volonté, ou du moins une participation du sujet, qui a ici fait en sorte d'être aimé, tandis que l'usage du verbe « être » fait un simple constat, un état, de manière plus neutre.
- Se faire
- Se faire s'emploie lorsqu'une personne cause l'évolution de sa situation. Exemple : Grâce à ses relations, il a pu se faire remplacer pour cette réunion à laquelle personne ne souhaitait participer.
- Être
- Être indique un état, une réalité, une existence. Exemple : La neige est blanche.
De même entre « Madame est belle » et « Madame s'est fait belle » : la première formulation constate tandis que la seconde indique que Madame est la cause de sa beauté.
Ne plus se faire avoir
Dans l'usage populaire, les deux formes tendent à se confondre, jusqu'au contresens puisque, pour beaucoup, « se faire » indiquerait la passivité, le fait de subir, sans doute par analogie avec l'expression familière « se faire avoir », qui signifie être roulé, berné : « il s'est fait avoir comme un bleu ».
Pourtant celui qui « se fait licencier » ne vit pas la même chose que celui qui « est licencié ». Se faire licencier signifie faire en sorte d'être licencié, que ce soit volontaire ou non. Dire « j'ai été licencié » se borne à énoncer le fait sans présumer des causes, tandis que « je me suis fait licencier » attire, par la redondance pronominale, l'attention sur soi, sans que l'on sache précisément si c'est pour se faire plaindre, comme victime du grand méchant employeur, ou par fierté d'avoir œuvré en ce sens, amenant l'employeur à prendre la décision que l'on souhaitait.
D'après la Grammaire méthodique du français (PRR), Les verbes faire et laisser gardent une valeur causative : le premier implique de la part du sujet un certain degré de responsabilité ; le second, au contraire, souligne sa “passivité”.
Exemples : « Il s'est fait opérer par un charlatan » ou « il s'est fait renverser par une voiture » pointe la naïveté ou l'imprudence du sujet, bref sa part de responsabilité. « Il s'est fait remarquer » sous-entend qu'il a tout fait pour. La passivité s'exprime davantage avec le verbe laisser : « il s'est laissé frapper sans réagir ».
On parle alors, en linguistique, de verbe causatif, plus précisément ici de forme factitive pronominale : « Marie se fait conduire par Paul ». Cette construction de phrase permet d'exprimer un sujet (Marie) qui est cause de l'action effectuée par un agent distinct (Paul) et décrite par le verbe (conduire). Dans ce tour causatif pronominal, “se” renvoie au sujet global du factitif (Marie). C'est ce sujet qui met en branle un processus qui l'affecte ; rien ne saurait donc être en principe plus digne d'intérêt que ce qui lui arrive. C'est pour cela que l'attention est dirigée d'une manière inhérente vers l'accomplissement de l'action, vers l'obtention d'une situation.
(Sur la structure argumentale de la forme faire + infinitif, par Malika Kaheraoui, Corela, octobre 2017).
Personne ne se fait violer
Se faire une tasse de thé, suppose que l'on voulait boire du thé. Se faire faire une robe ou un placard sur mesure, de même. Se faire coiffer, tatouer ou manucurer, aussi. Se faire draguer, se faire remarquer, aussi. Et se faire harceler, agresser, violer ?
“Flavie Flament s'est fait violer” titrent bon nombre de magazines. Cette forme grammaticale active sous-entend une volonté du sujet. C'est Flavie Flament qui agit. Elle SE fait violer. Elle se fait faire un massage, elle se fait aider pour sa thèse, elle se fait récompenser, elle se fait refaire le nez, elle se fait violer. Comme si c'était son choix, comme si elle était à l'origine de l'acte. Sauf qu'en réalité, elle n'a pas désiré ce viol : elle est violée.
(Culture du viol : non, Flavie Flament ne s'est pas « fait violer » !, Marlène Schiappa, Huffington Post, 17/10/2016.)
Ce qui définit le viol étant l'absence de consentement, il est illogique de dire « se faire violer ». C'est un non-sens. Il est impossible de « se faire violer ». Personne ne se fait violer. Jamais. Pis que ça : dans un contexte où les victimes de viol sont trop souvent interrogées sur leur comportement, leur tenue… suspectées d'avoir provoqué, dire « elle s'est fait violer » sous-entend qu'elle l'a cherché, un peu, quand même.
Les femmes ne se font pas harceler, agresser, violer. Sauf du point de vue de l'agresseur. Point de vue hélas communément partagé, en témoigne l'usage généralisé de cette forme dans la langue française contemporaine, y compris dans la presse, au point qu'on n'y prête plus gare. Pourtant, non, on ne se fait pas violer comme on se fait une tasse de thé. Il faut donc éviter l'expression « se faire violer », douteuse, au profit de « être violée », pour bien signifier que le viol est commis sur une victime non consentante, par un criminel qui le cause. On ne se fait pas violer. On est violé. On est, on est, on est violé. On ne fait rien. On est. c'est l'autre qui fait. Le viol, c'est l'autre qui le fait.
rappelle la femme de lettres Léonora Miano, ici lue par l'ex-ministre Christiane Taubira à l'occasion du dernier Festival d'Avignon.