Il y a eu la dernière fois que j'ai monté l'escalier. J'ai compté chaque marche, il y en avait quatorze, et puis deux mètres, et puis encore une, en pierre, très haute, le couloir, et encore deux, bancales, attendant d'être refaites. La dernière fois que je suis allée dans leurs chambres, celle avec la porte qu'on ne fermait jamais pour mieux les entendre parler dans leur sommeil, celle qu'on avait trop souvent claquée, autrefois, celle avec le panneau " défense d'entrer sans autorisation (sauf les parents) ".
Le dernier repas, la dernière fois qu'on s'assied ensemble à cette table, eux et moi. Elle leur sera trop grande désormais. Le dernier thé du soir, les derniers rituels. Le linge qu'on décroche au jardin, pour la dernière fois, l'escalier recouvert de mousse. La porte qui frotte un peu. Le coup d'oeil dans le miroir, en passant.
La dernière nuit, avec ses ombres et ses fantômes, son insomnie et son silence. La dernière douche, qu'on avait choisie, puis construite ensemble. J'ai monté la température jusqu'à la brûlûre, pour ne jamais oublier. Le dernier regard qu'on jette sur toutes ces choses qu'on laisse. Bien sûr qu'il ne s'agissait que d'objets, bien sûr que tout cela se remplace, mais nos souvenirs? Ceux qu'on a mis des années à bâtir? Faudrait-il faire le tri, en deux colonnes, les heureux, les moins heureux? Faudrait-il en effacer, en ranger? Ou plutôt les garder, les chérir, parce qu'ils sont seize ans de vie?
Le dernier regard par la fenêtre. Le clapotis bleu turquoise de la piscine, le film mental de leurs concours de bombes, de leurs premières brasses, leurs premiers plongeons, ils étaient si fiers (et nous aussi), les fêtes, les amis, ceux qui ne savent pas encore, ceux qui s'en iront, pensant que seul on est moins fréquentable qu'à deux, ou pour ne pas devoir choisir leur camp. Il n'est pas facile de n'avoir rien vu venir.
J'ai emballé encore quelques affaires, dérisoires, et j'ai fermé la porte pour la dernière fois derrière moi. Une dernière fois, avant toutes les premières fois qui m'attendaient.
Et puis marcher, marcher encore, dans cet automne flamboyant. Adelante!