En finir avec les clichés exotiques

Publié le 20 octobre 2017 par Aicasc @aica_sc

Joiri Minaya Postcards

Vous connaissez déjà Joiri Minaya. Certaines de ses œuvres ont déjà été exposées à Fort – de – France, en 2015, au cœur de Remix en Caraïbe. La série des Postcards, des collages numériques, discrédite   la vision exotique et erronée de la femme de couleur que les peintres modernes, de Gauguin à Enrique Grau Araujo, affichent dans leurs peintures. Afin de déconstruire ces clichés, à la fois dans les peintures modernes et dans l’imagerie touristique contemporaine, Joiri Minaya s’inspire des représentations de la femme de couleur de Gauguin, Vela- Zanetti ou Grau Araujo mais aussi d’images empruntées à des sites internet destinés «  aux hommes qui aiment les femmes exotiques ». Des fragments de corps sont isolés puis intégrés dans de nouvelles compositions numériques. L’artiste témoigne ainsi du lien entre des œuvres historiques et des publicités touristiques contemporaines autour de la  double articulation, homme/femme, colonisateur/colonisé et conduite le regardeur à s’interroger : Qui a représenté qui,  tout au long des siècles ? De quelle manière ? Pour le plaisir de qui ?

Joiri Minaya Postcards

 Joiri Minaya est une artiste de République Dominicaine qui partage aujourd’hui son temps entre son île natale et New – York.  Ses installations, performances, collages numériques et vidéos examinent les problématiques de l’identité, de l’altérité, du poids de l’histoire et du regard de l’autre sur la construction de l’identité contemporaine caribéenne. Le corps féminin et la nature tropicale sont au centre de sa démarche artistique.

Ce mois d’octobre, Joiri Minaya participent à plusieurs importantes manifestations à New – York, à Los Angeles et aux Bahamas avec ses installations, ses performances, ses vidéos.

Au Musée Africain- Américain de Philadelphie, dans Garden of the minds, elle examine en compagnie de quatre autres plasticiennes,  les liens entre la mémoire, l’histoire et l’environnement naturel.  A travers sa relation à la nature, Joiri Minaya déconstruit et exorcise l’histoire, la culture, les idées imposées et s’exerce à la réaffirmation de soi.

joiri_minaya #dominicanwomengooglesearch

L’installation #dominicanwomengooglesearch, composée d’impressions numériques et collages de tissus suspendus, prolonge d’une certaine manière les Postcards en utilisant des images récupérées sur internet et approfondissant la critique des représentations stéréotypées de la femme créole. L’artiste recycle les représentations féminines exotiques du web qui correspondent aux fantasmes masculins étrangers. Elle isole des fragments du corps féminin et les agrandit à l’échelle humaine. Au verso, sont apposés  des tissus  aux motifs empruntés à la végétation tropicale. Joiri Minaya questionne ainsi les fantasmes liés aux tropiques, prompts à associer végétation luxuriante et courbes plantureuses. Quelquefois, on aperçoit en filigrane le lien internet d’origine de l’image recyclée.

Joiri Minaya #dominicanwomengooglesearch

Voir la vidéo

https://vimeo.com/124268244

Une autre installation été sélectionnée pour une manifestation majeure, inscrite dans le  programme Pacific Standard Time pour la valorisation de l’art latino – américain, sponsorisé par la Getty Foundation. Relational Undercurrents: Contemporary Art of the Caribbean Archipelago visible au  Museum of Latin American Art (MoLAA) réunit quatre – vingt plasticiens contemporains de la Caraïbe avec l’archipel comme grille d’analyse. Cet inventaire comporte  quatre subdivisions : Conceptual Mappings, Perpetual Horizons, Landscape Ecologies and Representational Acts. C’est dans la section Landscape Ecologies  que figure Redécodez de Joiri Minaya .

Joiri Minaya_Redecodez

Cette installation s’inspire de deux papiers peints des années quarante, Brazilliance et Feuille de banane de la Martinique, conçus pour rénover la décoration de deux hôtels luxueux, l’Hôtel Greenbrier de  Virginie Occidentale et l’Hôtel du Beverly Hills. Ce thème végétal tropical cherche à créer une sensation de fraîcheur, de tranquillité, de bien – être mais fait toutefois aussi  référence au textile de camouflage contemporain employé par les forces militaires américaines présentes actuellement dans certaines régions de la Caraïbe. . Certaines parties sont pixellisées, brouillant et décomposant les modèles originaux, contestent la domestication de la nature. Des codes barres en filigrane redirigent  le spectateur vers des sites qui évoquent la notion d’altérité, la «  consommation » de la nature exotique

Dans ce même programme Pacific Standard Time, un panorama de l’art vidéo latino américain Video Art in Latin America au LAXART, accueille la vidéo Siboney. Siboney est à la fois une installation et une performance, filmée et enregistrée :   Joiri peint à la main un motif floraltropical sur le mur d’un musée pendant cinq semaines.  Une fois que la peinture murale est finie,  elle humidifie ses vêtements et gomme la fresque avec son corps au rythme  de la chanson Siboney de  Connie Francis.

Joiri Siboney (2014) performance

Voir la vidéo

https://vimeo.com/125530386

Toujours en octobre, la Galerie Nationale des Bahamas accueille, dans le projet Re : Encounter ,  les regards croisés de Joiri Minaya et de Dédé Brown sur des sujets post coloniaux comme la condition féminine dans une société patriarcale. Joiri Minaya y présentera des œuvres conçues spécifiquement pour le site mais aussi la vidéo Labadee. Labadee est un port situé sur la côte nord d’ Haïti . C’est un une station balnéaire louée à la Royal Caribbean Cruises Ltd jusqu’à 2050.

La vidéo de Minaya  examine comment Haïti, première République noire dès 1804 mais aussi, aujourd’hui, l’un des pays les plus démunis du globe,  est représentée dans la conscience occidentale. Labadee associe  la séquence d’un bateau de croisière,  le journal de bord de Christophe   Columb avant qu’il n’ait accosté dans 1492 dans le Nouveau Monde et  le récit contemporain d’une visite touristique typique à Labadee. On retrouve ici les thématiques du regard de l’autre,  de l’exploitation de la nature et aussi dans une certaine mesure de l’humain.

Siboney, installation et performance permet de faire le lien avec la pratique de la performance développée par Joiri Minaya.

Dans le Bronx, au Rossbach Monocot Garden, dans le cadre du projet, Call & Response,  des performers habillés des tenues aux motifs végétaux tropicaux, dessinées par Joiri qu’elle désigne par le terme Containers, déambulent, s’arrêtent, prennent la pose alors que les spectateurs perçoivent un texte diffusé au sein même de la nature.

Joiri Minaya, Containers

Joiri Minaya, Containers

Les créations plastiques de Joiri sont aussi visibles, entre autres,  dans le Queens sous le titre Soft Glances, à la Parsons School of Design où elle a étudié avec HERE / HEAR, à la quatrième AIM Biennale au Bronx Museum of the Arts.

L’appropriation et  le détournement de clichés tropicaux fondent cette œuvre singulière où le corps féminin et la végétation tropicale fusionnent pour porter un regard critique sur la vision exotique de la Caraïbe communément répandue.

Dominique Brebion

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