La grande dame de l'apres 100 ans et la camarde la pressentant...

Publié le 20 octobre 2017 par Fabianus


Danielle Darrieux vient de nous quitter. Elle s'est éteinte dans la nuit du 17 octobre à son domicile du Bois-le-Roi (Eure). La grande actrice avait fêté ses 100 ans le 1° mai. Elle nous laisse en héritage 70 années de merveilles cinématographiques. Hommage...
Le 1° mai 1917, alors que le général Nivelle lance dans la boucherie du chemin des Dames une offensive mal préparée, naît la petite Danielle Darrieux. On est bien loin du front dans cette paisible région bordelaise et toute la famille est émerveillée par ce petit nourrisson déjà bien pétillant d’espièglerie.
Danielle grandit et apprend le violoncelle au conservatoire de Paris en ignorant qu’elle aura une vie au long ciel que peu de nuages viendront perturber. Mais la gamine se lasse de frotter les cordes et ne rêve que de cinéma ; ah ce 7ème art, l’art chéri tandis que l’archer pleure !
Par le truchement d’un concours de circonstances elle débute devant la caméra dès l’âge de 14 ans dans « le Bal » Wilhelm Thiele. Sa jolie petite frimousse et l’indéfinissable charme font mouche !  A 17 ans, elle a déjà neuf tournages à son actif, dont « Mauvaise graine » de Billy Wilder qui n’est pas, contrairement à ce qu’indique son titre, un film annonciateur des futurs dégâts de Monsanto.
Elle rencontre alors Henri Decoin, ex aviateur de guerre et devenu cinéaste, ce qui le fait toujours planer en parlant d’ailes. On est en 1935 et l’homme tombe effectivement amoureux, lui demande de jouer dans 'Le Domino vert'  et sa main.
Dès 1936, alors que le Front Populaire se donne un mal de chien elle doit à Boyer donner la réplique dans le film « Mayerling » sur fonds de suicide austro-hongrois. C’est le vrai démarrage de sa carrière. En effet, elle est repérée par les Américains des Studios Universal unis vers celle qu’on surnomme « la fiancée de Paris ». Et c’est justement parce qu’elle a deux amours, son pays et Paris, que la belle ne tournera qu’un film à Hollywood ! Elle revient en France, délaissant son contrat de 7 ans (car c’est la fiancée DD, heu, la fille en CDD) chez l’oncle Sam et retrouve son Decoin sur les plateaux (Mademoiselle ma mère – 1937, Abus de confiance – même  année). Mais l’amour s’étiole. C’est la déconfiture Decoin ! Elle quitte le cinéaste en 1941 alors que son film «Premier rendez-vous» est un succès en pleine occupation.
C’est d’ailleurs dans cette sombre période, de par son contrat avec la Continental, société de production allemande et proche de Goebbels, qu’elle se perdra dans des cocktails à l’ombre d’une jolie croix gammée. Une grosse tache dans sa carrière.
Après la guerre, en 1952, elle retrouve Decoin  pour « La Vérité sur Bébé Donge »  aux côtés de Jean Gabin. Elle y incarne Bébé, une empoisonneuse alors que BB, la vraie, démarre juste au cinéma dans « le Trou Normand ». Elle retourne à Hollywood pour jouer « l’affaire Cicéron » de Joseph L. Mankiewicz et se faire payer en carats eu égard au décor turc de cette réalisation dans laquelle sévit aussi James Mason.
En 1955, Sacha Guitry l’appelle pour jouer dans « Napoléon » où elle incarnera Eléonore Denuelle de La Plaigne (elle est au Nord d’eux, nue, hèle ; deux la plaignent ?) et croisera Michèle Morgan. En 1956, autre rencontre : Jeanne Moreau avec qui elle tourne dans « le salaire du péché » de Denys de la Patellière ; film qui aurait dû initialement s’appeler « le sale air du pêcher » mais le projet fut abandonné car il n’aurait pas porté ses fruits…
En 1959, elle incarne Marie-Hélène Dumoulin dans « Marie Octobre », un film de Duvivier, où l’on trouve une pléiade de pointures : Meurisse, Blier, Ventura, Reggiani, Roquevert…
Jusqu’aux années 1990 sa carrière est jalonnée de petits passages à vide que ne comblent pas totalement une présence au théâtre. Mais le come-back s’effectue avec « Ça ira mieux demain » de Jeanne  Labrune, en 2000 (avec Nathalie Baye et Isabelle Carré) et surtout avec « Huit Femmes » de François Ozon (2002) où elle incarne une mamy entourée de ses proches sur fond de meurtre à domicile alors qu’on s’apprête à fêter Noël. Danielle y brille, y chante (il n’y a pas d’amour heureux) et rajeunit  auprès de plus jeunes (Virginie Ledoyen, Ludivine Sagnier) ou de beaucoup plus confirmées  (Catherine Deneuve, Fanny Ardent, Isabelle Huppert, Emmanuelle Béart).
On voit alors que son talent n’a pas pris une ride. Elle resplendit sur l’écran avec cette irremplaçable malice au coin des yeux. C’est l’occasion pour une nouvelle génération de spectateurs d’apprécier le grande dame tout en ignorant l’incroyable patrimoine cinématographique qui court dans son sillage (plus de 130 films à son actif).
L’intrépide comédienne, l’éternelle fiancée vient de rendre l’âme à l’issue d’une carrière de 70 ans qui, à elle seule, retrace toute l’évolution de notre cinéma hexagonal. Elle aura tout joué : la comédie, le drame, l’intrigue, le music-hall, la romance…
Après Jeanne Moreau, Mireille Darc, Claude Rich,  Gisèle Casadesus, Jean Rochefort, l’année 2017 tourne encore une page de notre histoire cinématographique de l’après-guerre toute auréolée de la magie du noir et blanc.
Danielle est partie dans son dernier sommeil, bercée de mille feux de la rampe, habitée de musique et mots déclamés, de répliques légères ou noires de gravité.
Danielle s’en est allée, centenaire magnifique ; elle demeure à jamais dans la mémoire de France…