L’exposition qui a ouvert ses portes au Louvre ce mercredi nous livre une face méconnue de la production artistique du royaume de France à l’époque de François Ier. Le vainqueur de Marignan a eu beau introduire l’art italien à sa cour, il n’a pas pour autant négligé les artistes flamands. L’enjeu d’une telle exposition ne se limite pas à une simple curiosité culturelle : il s’agit d’abord de construire un nouveau récit complémentaire, et non rival, du grand récit de la Renaissance.
Un autre récit de la Renaissance
Rappelez-vous vos cours d’Histoire au lycée. Combien de fois évoqua-t-on de Vinci à la cour du roi François, les châteaux de la Loire inspirés de l’Italie, l’imitation des modèles transalpins ? Mais vous souvenez-vous des noms de Noël Bellemare ? Grégoire Guérard ? du Maître d’Anvers ? Probablement pas. Et pour cause : on ne les a sortis de l’oubli des siècles que depuis trente à cinquante ans, alors que leurs œuvres illuminaient encore les églises de Champagne, d’Amiens, voire de Paris.La Renaissance en France ne se fit pas à sens unique. La modernité culturelle ne vint pas seulement de l’autre côté des Alpes et des guerres qu’y menèrent Charles VIII, Louis XII et François Ier. Cette histoire-là suit celle des rois, qui trouvèrent dans le bouillonnement italien matière à soigner leur image souveraine. Mais au même moment, rois et grands seigneurs du Nord de la France continuèrent d’entretenir des liens avec les Flandres et les futurs Pays-Bas : Anvers, Tournai et Bruges demeurèrent des laboratoires artistiques, et les villes françaises des places d’échanges économiques, sociales et culturelles.
De la production collective de l’art
L’exposition François Ier et l’art des Pays-Bas ne vise pas à remplacer le récit italien par le récit flamand, ni même à déconstruire le premier. Avec plus de finesse, elle cherche à restituer la pluralité d’une époque, dont à présent, après des siècles d’historiographie officielle, nous ne voyons plus qu’un seul et unique récit. Le parcours fonctionne à rebours d’une exposition-catalogue comme peut l’être Rubens, portraits princiers au Luxembourg. À la différence de celle-ci, qui accumule les œuvres les plus fastueuses sans interroger leur contexte de production et de réception, l’exposition du Louvre tient à replacer chaque pièce dans un système économique et culturel global au sein duquel elle interagit avec l’ensemble des mécanismes. Se dessine l’image d’une Europe multiculturelle, métissée pour ainsi dire, au sein de laquelle circulent artistes, œuvres et styles : il suffit de voir le "Maître d’Anvers" reprendre les retables du vrai Anversois Jan de Beer ou la figure de Jean Clouet, portraitiste du roi de France d’origine flamande, pour s’en convaincre.L’œuvre apparaît par conséquent comme le résultat d’un processus collectif. L’enfant hybride issu d’influences diverses, de maîtres et de disciples, de commanditaires et de créateurs. Rien de sacré, d’absolu, de transcendant, là-dedans.
Mettre en scène la diversité
Pour mettre en scène la diversité des productions de la Renaissance française, la scénographie ne se contente pas d'un sage parcours linéaire ordonné. Presque à chaque pièce, une nouvelle ambiance. Les minuscules portraits intimistes de Corneille de Lyon brillent d'une pâle lueur, déployés comme les pages d’un livre, dans une salle plongée dans l’obscurité, pendant que les retables maniéristes du maître d’Anvers et les vitraux de Noël Bellemare occupent avec grandiloquence l’espace qu'on leur accorde et que, plus secrets, les délicats volets de Grégoire Guérard et Bartholomeus Pons se présentent avers et revers. Ce genre d’exposition renouvelle l’approche de l’histoire de l’art pour le grand public. Car elle s’arrache à l’illusion romantique de l’artiste isolé, encore trop prégnante, au profit de la vraie et juste élaboration collective des productions culturelles, dont les œuvres, loin de se borner à elles-mêmes, révèlent avec splendeur la richesse des échanges qui leur ont donné vie.
François Ier et l'art des Pays-Bas, au musée du Louvre jusqu'au 15 janvier 2018Maxime