Voici un livre qu’on ouvre avec circonspection. Une prudence inquiète précède sa lecture, en raison de son auteur. Marcel Sel est bien connu pour ce qu’il écrit, sur un autre terrain : le chroniqueur puise surtout ses sujets dans la politique. Qu’a-t-il besoin de se lancer dans le roman ? A-t-il éprouvé le besoin d’être reconnu comme un véritable écrivain ? Alors que la circonspection, la prudence et l’inquiétude poussent déjà à imaginer qu’il aurait mieux fait d’en rester à sa manière habituelle. Marcel Sel a dû anticiper ces réflexions, car la première ligne arrive : « Tu vas écrire un roman, qu’il m’a dit. C’était un ordre. » C’est, en raison de ce qui a été dit, un début qui tue. Ou qui sauve. Ne faisons pas durer le suspense : la deuxième option est la bonne. Le narrateur, salarié par son père sans exigence d’un travail en échange, se voit comme un écrivain manqué. Et soudain contraint de le devenir vraiment quand Le Père, comme il l’appelle, modifie sans prévenir les règles du jeu : maintenant, il sera payé à la page. Trente euros la page, sans chicaner sur le volume de texte, comme Le Fils le constate lors de sa deuxième livraison en agrandissant les caractères. La trouvaille n’est pas vraiment le rapport difficile entre père et fils, encore qu’elle prenne sa véritable dimension à la fin du livre. La trouvaille est le sujet du roman que le fils envoie par épisodes au père : la vérité sur sa famille, rien de moins, les errements d’un grand-père fasciste dans une Italie hésitant, pendant la guerre, sur l’attitude à adopter. Avec pour clef du roman les notes très complètes prises d’après un récit recueilli par l’écrivain en herbe quand il avait quatorze ans. L’héroïne de cette histoire vraie s’appelle Rosa, la femme sur qui personne ne connaît la vérité, sauf le fils. Décidé à en faire le feuilleton financé par son père. Celui-ci lit-il les pages qu’il reçoit, ou se contente-t-il de les compter pour établir le montant à payer ? Se réserve-t-il le droit au mépris sans même savoir ce que son fils tente de lui envoyer au visage ? Le récit à plusieurs étages s’enrichit de découvertes tardives, car la vérité, décidément, en des temps troublés, n’est pas du genre à se laisser saisir sans résistance. Une partie du livre se passe ainsi à corriger ce qui avait été mis en place précédemment. Les idées s’obscurcissent avant de redevenir limpides.
Et le premier roman de Marcel Sel, bien plus ambitieux que le résultat d’une envie de changement de genre, finit par résonner en nous de tout ce qui n’avait pas été dit entre ses protagonistes. On le ferme en ayant oublié les questions préliminaires, mais chargé d’autres interrogations, plus fondamentales.