En ce mois d’octobre et à l’approche d’Halloween il était grand temps d’aborder avec vous cet attrait inexplicable que nous ressentons pour les histoires de monstres, meurtres sanglants et autres épouvantes.
Si inexplicable que ça ?
Cet article est écrit en collaboration avec le blogueur Lucas de « Citation – Proverbe » qui va vous faire frissonner grâce à ses citations bien choisies. Allez découvrir son blog en cliquant sur le lien ci-dessus!
« Dis-moi qui tu hantes, et je te dirai qui tu es. »
Miguel de Cervantès – Don Quichotte
La peur est une émotion envahissante limitant la perception de la réalité. Elle se répand inexorablement dans toutes nos fibres : notre respiration est rapide, saccadée ; notre coeur s’emballe ; notre corps se couvre de transpiration.
De la crainte à la véritable frayeur, la peur couvre tout un spectre de sensations et il est indéniable que nous aimons frissonner surtout quand il est question de lecture.
En effet, le roman noir est un genre majeur et environ un livre acheté sur quatre est un thriller ou un polar.
Ce phénomène est loin d’être récent. Il remonte à des siècles et a connu son apogée au 19ème siècle en Europe : en France avec des auteurs tels que Maupassant, Balzac, Baudelaire ou encore Hugo ; et en Angleterre grâce à la tradition gothique (avec ses manoirs médiévaux hantés, ses crises d’hystérie collective, son célèbre « fog » et les meurtres abominables dont Sir Conan Doyle était passé maître).
Ce courant littéraire s’est alors propagé outre-Atlantique avec des auteurs comme Edgar Allan Poe avant de s’étendre au monde entier.
Comment expliquer un tel engouement pour le frisson dans la littérature ?
« L’émotion la plus ancienne et la plus forte de l’humanité est la peur. Et le genre le plus ancien et le plus fort de la peur est la peur de l’inconnu. »
Howard Phillips Lovecraft
Le premier élément de réponse est que le frisson, le fantastique, le surnaturel, rencontrent des préoccupations théologiques éprouvées par chaque être humain depuis des temps immémoriaux.
« Au lieu de conclure par ces simples mots : « Je ne comprends pas parce que la cause m’échappe », nous imaginons aussitôt des mystères effrayants et des puissances surnaturelles. »
Guy de Maupassant – Le Horla (1886)
Dans le même sens, ces « romans à frissons » évoquent les trois termes interdits « mal », « violence », et « mort » : pulsions animales ou événements impensables contre lesquels nous ne pouvons rien.
Ces romans abordent la férocité ainsi que des expériences extrêmes qui existent dans nos sociétés mais qui restent, la plupart du temps, abstraites et inconnues. Se crée alors, malgré nous, une sorte de fascination pour cette littérature où toutes les pulsions sont exprimées, libérées. D’ailleurs, à titre d’exemple, les auteurs de romans les plus macabres viennent bien souvent des pays nordiques, soit les pays les plus pacifiques et réputés comme les plus heureux au monde.
« Ce fut pendant une triste nuit de novembre que je contemplais le résultat de mon labeur. Avec une anxiété qui devint une agonie, je réunis les instruments de vie pour en communiquer une étincelle à la chose inanimée couchée à mes pieds. Il était déjà une heure du matin. La pluie fouettait lugubrement les carreaux quand, à la lumière à moitié éteinte de ma bougie, je vis s’ouvrir les yeux jaunes et mornes de la créature. »
« Il était laid, sans doute; mais quand ses muscles et ses articulations purent se mouvoir, cela devint une chose telle que Dante lui-même n’aurait pu la concevoir. »
Mary W. Shelley – Frankenstein ou le Prométhée moderne (1818)
Le second élément de réponse se trouve dans le fait que la peur fait partie des passions fondamentales de tous les êtres vivants.
La sensation de peur est, en réalité, un mécanisme qui permet de sentir le danger et contribuant ainsi à la survie de l’espèce. Nous sommes donc biologiquement programmés pour éprouver de la peur naturellement. Or, dans nos sociétés contemporaines, les occasions de frissonner sont plus rares et cela nous manque.
« Est-ce que je crois aux fantômes ? Non, mais j’en ai peur. »
Marie du Deffand
Cela nous manque parce que, contre toutes attentes, avoir peur fait du bien!
D’un point de vue physiologique parce que face à une menace, qu’elle soit réelle ou non, les pulsations cardiaques et la respiration sont plus rapides, du glucose est propagé dans le sang accompagné d’une diffusion d’adrénaline, d’endorphine et de dopamine, si bien qu’à la fin d’une expérience de peur, c’est plutôt l’excitation engendrée dont l’on se souvient.
Cela nous fait également du bien psychologiquement, d’une part parce que la peur produit une sensation d’hypervigilance qui permet d’être dans l’instant et d’oublier les préoccupations de la vie quotidienne le temps de la lecture ; d’autre part parce qu’on est rassuré par le fait d’être confortablement installé dans son canapé et par la fin de l’histoire qui permet, dans la majorité des cas, un retour à l’ordre.
« Cette fois, je ne suis pas fou. J’ai vu… j’ai vu… j’ai vu !… Je ne puis plus douter… j’ai vu !… j’ai encore le froid jusque dans les ongles… j’ai encore peur jusque dans les moelles… j’ai vu !… »
Guy de Maupassant – Le Horla (1886)
Finalement, c’est tout simplement parce qu’il existe de très bons « romans à frissons » : rythmés, tenant en haleine dès les premières lignes avec une intrigue minutieusement pensée, à la suite desquels on apprécie partager les émotions provoquées avec les autres lecteurs…
« Il n’est pas de passion plus contagieuse comme celle de la peur. »
Michel de Montaigne – Essais (1580)
Et vous, vous aimez frissonner grâce à vos lectures?
Crédit photo couverture : Samsha Tavernier