« Le deuxième mouvement du quatuor est stupéfiant. Lorsqu'on regarde l'aspect de la partition, on voit tout de suite qu'il s'agit davantage d'une musique de motifs que d'une musique de thème. Dans l'enchevêtrement des éléments, on a presque l'impression d'avoir affaire à de la musique dessinée. La façon de penser les voix, par accumulation et par disparition, est très contemporaine. Pour moi, il est normal que ces textures aient fait réfléchir des musiciens d'aujourd'hui comme Pascal Dusapin, Tristan Murail, ou Gérard Grisey, disparu en 1998. Nous sommes à la lisière de quelque chose. Il s'agit de polyphonie parce qu'il y a plusieurs voix, mais ce n'est pas cela qui importe. Tout le monde joue la même chose, mais ce n'est pas la même chose. C'est comme lorsqu'on voit une multitude d'oiseaux voler ensemble : on distingue une masse, mais il est impossible de détailler les oiseaux à l'intérieur de cette masse.
Ces manières sibeliennes me font penser de nouveau à celles d'un autre compositeur, Schubert, dans ses mesures d'accompagnement, dans ses formules répétées. Mais chez Sibelius, rien n'est réellement répété, tout est sans cesse en train d'évoluer. Si des fragments de mélodies sont réitérés, ce ne sont pas des leitmotivs, mais des poussières d'étoiles, des esquilles de chants perdus qui reviennent. Il y a un fatalisme dans la réitération, qui est ici comme une sorte de cantus firmus. Sibelius joue avec la mémoire de la mémoire. »
Eric Tanguy, avec la collaboration de Nathalie Kraft, Écouter Sibelius, Buchet Chastel, 2017, 132 p. , 13 € - sur le site de l’éditeur.