J’ai 3 ans et pas toi (1999),
Ouarzazate et mourir
(réédition, 1999) Hervé Prudon est d’abord connu comme auteur de roman noir, l’actualité éditoriale, nous y reviendrons, nous le rappelle d’ailleurs. Mais sa production la plus abondante reste, au jour d’aujourd’hui, celle de livres signés par d’autres. « Plusieurs occasions ont fait le larron, et j’ai été nègre, il y a une dizaine d’années, dans le genre autobiographique, parfois pour des personnes qui n’avaient rien à dire ni écrire », reconnaît-il dans sa préface. Alors, pour une fois, il fait le nègre pour une noble cause : écrire les Mémoires de Juliette, trois ans et qui n’en a pas, de mémoire. Le livre est un curieux monologue à deux voix. Comme dans tous les souvenirs écrits par un nègre qui respecte son travail, il est écrit à la première personne. Mais, dans un habile jeu entre celle qui est censée parler et celui qui rédige sans que l’aide la première, il y a parfois des moments de révolte chez le personnage. Quand le nègre a tendance à tomber dans le jeu de mots, un de ses péchés mignons, par exemple. Et Papa, quelquefois, est saoul, ou il est triste… Allez comprendre cela, vous ! Forcément, quand on part du postulat : je ne me souviens de rien, alors je vais vite tout raconter avant d’oublier, comment voulez-vous que cela ne tourne pas à la fantaisie ? J’ai 3 ans et pas toi. Na ! a-t-on envie d’ajouter, parce que le livre est plein de pieds de nez, d’histoires d’enfant pour lesquelles Hervé Prudon a sans doute dû puiser dans son antémémoire, et beaucoup observer. Il y a même des choses très graves, aux yeux d’un enfant de trois ans – trente-six mois plus neuf, pour être précis. Heureusement Léopold, le grand frère, est là pour remettre les choses en place, Léopold dit c’est pas grave alors c’est pas grave. D’ailleurs, c’est pas gravé dans la mémoire. C’est pire, petite Juliette : c’est écrit dans ton autobiographie non autorisée… Est-ce pour le contraste ? On réédite Ouarzazate et mourir, soit le Poulpe en version Prudon. Le héros croit perdre Cheryl, sa coiffeuse bien-aimée, et manque en perdre la tête, jusqu’à devenir cynique et tourner presque tueur. Il voit Ouarzazate, mais ne meurt pas, bien sûr. Prudon ne pouvait pas faire ça aux auteurs qui avaient encore leurs aventures du Poulpe à écrire. Le personnage est terriblement désenchanté. Ailleurs, il n’est pas toujours joyeux-joyeux. Ici, il est franchement sinistre. Cela lui va bien, lui donne une certaine élégance à la Mamounia de Marrakech. Mais, rien à faire, il ne digère pas la mort de son vieil ami Tchang qui était devenu clochard et qu’on a retrouvé dans une chambre d’hôtel où il s’était envoyé en l’air, avec deux filles d’abord puis avec un revolver… Il supporte encore moins sans doute ce qu’est devenu Leo, le troisième de la bande. C’était dans une autre vie, semble-t-il. Le Poulpe doit en posséder davantage qu’un chat. Celle-ci n’est pas la moins intéressante.Banquise
(réédition, 2009) Hervé Prudon à ses débuts, avec son troisième roman publié en 1980. Un implacable rouleau de malheur qui compresse tout sur son passage dans la banlieue de Sainte-Mouise-sur-Dèche. Une écriture qui tourbillonne, virevolte, se brise, comme une danse désespérée. Des personnages au bord d’eux-mêmes, prêt à s’expulser de leur vie. Ou à en expulser d’autres, si besoin. Banquise est un festival de noirceur emballé sur un rythme délirant. Jean-Patrick Manchette avait aimé. Nous aussi.