En effet, qu'est-il advenu depuis la fin 2016 dans le monde de la blockchain ? Une multitude de banques – et d'entreprises d'autres secteurs, d'ailleurs – ont lancé de nouvelles expérimentations, seules ou en partenariat. Pendant le même temps, combien de projets ont abouti à une mise en production ? Une poignée, souvent sur des cas d'utilisation anecdotique ou bien en dérive de modèle (comme pour Ripple, qui ressemble de plus en plus à un Swift, plus efficace, peut-être, grâce à un socle moderne).
Du côté des motivations des responsables de ces initiatives, les chimères de la solution miracle apportée par une technologie « révolutionnaire » continuent à se propager et à s'amplifier… À tel point qu'il n'est plus rare, désormais, de lire des titres de presse et de communiqués sur des thèmes tels que « les entreprises ne parviennent pas à s'accorder sur tel sujet (KYC, propriété intellectuelle, gestion de titres…), la blockchain pourrait être la réponse », qui exposent une terrible perte de vue du problème à résoudre.
De fait, il se développe toujours l'idée fantasmagorique que la capacité d'un logiciel à remplacer le principe d'un tiers de confiance « organisationnel » (matérialisé sous la forme d'un consortium, par exemple) par un algorithme permettrait d'éliminer toute difficulté dans la mise en place d'un système « collaboratif » ou, pour l'exprimer autrement, la confiance immanente en la « sainte blockchain » ferait instantanément disparaître la défiance qui régnait jusqu'alors et interdisait d'envisager une solution commune.
Le défaut de ce genre de raisonnement devrait sauter aux yeux : l'objet de la confiance procurée par la technologie n'est pas l'objet de la défiance qui constitue l'obstacle initial ! Ainsi, pour illustrer mon propos, dans une application de gestion de la traçabilité de marchandises, le recours à une blockchain constitue un moyen de garantir l'intégrité et l'immutabilité des données enregistrées, mais cette assurance n'a rigoureusement aucune valeur si celui qui accède à l'information n'a pas confiance en celui qui l'a produite.
En conclusion, il faut donc exercer la plus grande prudence vis-à-vis des propositions d'application de la blockchain visant à dénouer une absence ou une insuffisance de confiance entre les participants considérés. La priorité dans ce cas sera d'abord d'établir les conditions de la collaboration, avant d'identifier l'outil à mettre en œuvre pour la supporter (qui pourra être une blockchain ou pas, le choix devant alors se faire sur d'autres critères). Et s'il arrive que l'engouement pour la blockchain serve de déclencheur à un rapprochement, attention à ne pas bâtir un édifice sur des fondations fragiles !