Aborder l’exposition de Géraldine Cario à la galerie Laure Roynette à Paris c’est accepter de se soumettre à jeu de piste quelque peu énigmatique. Sa première exposition dans cette même galerie présentait une scénographie totalement en noir et blanc au diapason de « Memory box », où les appareils photographiques des années trente semblaient épinglés comme dans une collection paléontologique au muséum d’histoire naturelle. Cette fois, dans une ambiance de lumière tamisée par les oeuvres elles-mêmes, c’est une tonalité sépia qui baigne la galerie nous incitant à prendre en compte cette couleur de la mémoire, voire de la nostalgie.
Le temps d’accommoder sa vision à cette ambiance feutrée et ce sont deux indices qui nous guident vers une première approche de l’oeuvre : le temps et l’écriture. Si le temps s’écoule sous nos yeux au travers des mécanismes complexes d’une machinerie déjà désuète, l’écriture est un temps qui se trace sur le papier au fil des mots.
« Réparation II »
Comment définir le protocole de ce travail qui ne se livre pas immédiatement ? Géraldine Cario mène assurément une enquête : cartes, boussoles, compas, photographies… l’artiste poursuit une investigation sur le terrain, mais lequel ? « Réparation II » , titre de l’exposition, opère cette recherche d’un temps vécu, celui de ces inconnus dont les photographies participent aux montages des oeuvres. Géraldine Cario accumule dans son atelier des centaines de photographies récupérées, mémoires anonymes pour lesquelles elle entreprend cette « réparation ». Le temps n’est plus alors seulement une donnée physique mesurée par une machinerie complexe, il est un temps habité par ces vies dont elle part à la recherche. Et ces photos d’une époque déjà révolue, minuscules, d’une qualité médiocre, sont même soumises à un examen au microscope pour en extraire tel ou tel détail auquel rattacher la vie.
Mais l’artiste, dans cette tâche, se heurte également à l’absence : celle de cette clef manquante sur un tableau où toutes les autres soulignent ce vide, celle de cette chaîne dont l’espace ouvert d’un chaînon rompt la solidarité. Absence enfin dans « La disparition » de Georges Pérec, roman mis en exergue dans l’exposition et dont l’absence du « e » ramène à la vie personnelle de Georges Perec : son père meurt au combat en 1940 et sa mère est déportée à Auschwitz en 1943. Ce rapport à l’écriture traverse les pièces présentées avec l’armée des plumes sergent-major mise en scène par l’artiste. Les caractères d’imprimerie fichés dans une sphère noire à la fonction quelque peu mystérieuse complètent le vocabulaire de l’artiste dans cette enquête où les armes pacifiques de l’écriture sont mises à contribution.
Rétrospection
Pour le visiteur se rassemblent alors ces éléments à première vue hétérogènes : horloges, photographies anciennes, plumes de sergent-major, caractères d’imprimerie, boussoles, compas, cartes fournissent à Géraldine Cario les outils d’une rétrospection qu’elle veut réparatrice d’un oubli, d’un effacement. Cette photo dont l’image argentique allait disparaître, elle en récupère in extrémis la lumière et la trace dans cette ultime tentative d’exploration au microscope. Cette mémoire d’une vie, d’un instant vécu, unique, elle la fait remonter à la surface en tentant d’en reconstituer l’histoire avec si peu d’éléments de preuve.
Pour prendre une revanche sur cette entropie résultant à la fois de la disparition physique progressive des éléments et de la disparition mentale générée par l’oubli, l’indifférence, Géraldine Cario met en scène tous les indices, leur redonne vie avec sa stratégie propre et chaque oeuvre constitue un pré-texte à cette écriture du plasticien.
Photos : Galerie Laure Roynette et Géraldine Cario
Géraldine Cario Réparation II // Réparation II
12 Octobre au 19 Novembre 2017
Galerie Laure Roynette
20 rue de Torigny
75003 Paris