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La couverture donne le ton. Nos yeux sont aimantés par le regard d’Hitler, noir et pénétrant, habité par la folie. Fuis, espion ! Semble-t-il nous avertir. Comme si le lecteur s’apprêtait à pénétrer ses plus sombres secrets, à entrer dans les coulisses d’une vie qu’il voudrait à tout jamais impénétrable. Et alors la curiosité l’emporte. On ouvre le livre.
Intérêt déplacé, pourrions-nous dire ? Qu’on le veuille où non, Hitler fait partie de l’Histoire.
Sujet maintes fois traité, pourrait-on dire encore ? Et bien non, la résidence d’Hitler au Berghof est un thème très secondaire chez les historiens du Führer et de la Seconde Guerre mondiale. Très peu d’études récentes ont été menées.
Thierry Lentz nous embarque dans une quête personnelle qui n’est ni perverse, ni malsaine. Simplement passionnante… et glaçante.
Procurez-vous « Le diable sur la montagne » de Thierry Lentz !
Fenêtre sur cour
C’est toute l’histoire rocambolesque de la commune de Berchtesgaden et de cette magnifique montagne de l’Obersalzberg dans les Alpes bavaroises, que l’on découvre dans les premiers chapitres de cet ouvrage. Puis, au fil des pages, Thierry Lentz nous invite à pénétrer dans l’antre du Diable, à se faire spectateur d’un microcosme que l’on croirait à mille lieues de planifier l’un des plus grands génocides de l’histoire.
Les chapitres, courts, fourmillent de détails et d’anecdotes sur une personnalité monstrueuse qui est finalement celle d’un homme, saisi sur le vif. On découvre ainsi la manie d’Hitler de dormir toujours la porte fermée à clé, son rythme de vie décalé qui ne le fait jamais aller au lit avant 2h voire 5h du matin, sa hantise du moindre effort physique… Le style épuré mais dynamique, le ton neutre mais franc, qui garde une certaine distance tout en laissant percer l’ironie, le sarcasme, voire la consternation, sont parfaitement adaptés au sujet traité.
L’auteur nous fait découvrir plusieurs facettes de la personnalité du Führer. Hitler architecte, chef de chantier et décorateur d’intérieur. Hitler obsédé par le végétarisme, ayant en horreur l’alcool et plus encore la cigarette. Hitler capricieux, vaniteux et… amoureux des bêtes. À défaut d’éprouver la moindre compassion pour la race humaine, il vit entouré de bergers allemands dressés à la perfection. Ce sont bien les seuls à recevoir un peu de tendresse de la part de ce cœur si sec. Cette affection portée aux animaux ne l’empêche d’ailleurs pas de tester sur sa chienne adorée Blondi le poison qu’il ingurgite le 30 avril 1945…
On ressent une forme de satisfaction (relative) à savoir étalés au grand jour certains passages honteux de l’existence du Führer. Il n’aurait assurément pas apprécié les révélations sur sa santé délabrée, qu’il tente tant bien que mal de dissimuler de son vivant.
Hitler et Eva Braun avec leurs chiens en 1942
La faisanderie du Reich
Au Berghof, Hitler est loin de vivre en ermite. Il reçoit ses âmes damnées, avec qui il discute du sort de millions d’hommes. Le lecteur croise le chemin de Goering, Himmler, Goebbels, Speer et, probablement le pire de tous, Bormann, gratifié d’une description cauchemardesque qui fait froid dans le dos. Ces « faisans dorés », comme on les surnomme, et leurs épouses, sont les bienvenus dans l’humble demeure du Führer. Ils se construisent même des résidences secondaires tout autour du Berghof.
Les personnages féminins sont légions. La demi-sœur d’Hitler, Angela Raubal, qui fait figure de fée du logis avant l’arrivée d’Eva Braun, Hélène Bechstein, l’épouse du fameux fabriquant de piano réputé et qui fait partie, avec son époux, des premiers fans et « amis » du Führer. Mais aussi Henriette von Schirach, l’une des rares femmes (comme hommes) dans l’entourage d’Hitler à avoir osé s’étonner des maltraitances gratuites pratiquées sur les femmes juives.
Bien entendu, Thierry Lentz s’attarde sur la dévouée Eva Braun, aux petits soins pour son Hitler. Elle fait le sacrifice de sa propre personne, se contentant toujours d’une situation équivoque. L’auteur dépeint les petites habitudes de ce couple de l’épouvante, et les rares instants d’intimité qu’Hitler s’autorise avec sa compagne au Berghof. C’est à Eva Braun que l’on doit de nombreux clichés et surtout des vidéos montrant le Führer avec sa clique nazi. L’occasion aussi de dévoiler un autre visage du Berghof… Quand le Führer est absent, l’atmosphère change du tout au tout. Eva Braun, d’ordinaire tirée à quatre épingles, invite ses copines pour des fêtes décontractées voire dépravées et se trémousse en maillot de bain lors d’intenses séances de bronzage, pendant que l’Europe, le monde même, est à feu et à sang.
L’une des dernières femmes à avoir marqué l’histoire du Berghof est la petite sœur d’Eva, Gretl Braun. Jeune Vénus peu farouche, elle fait tourner les têtes avant qu’Hitler ne se décide à la marier… avec un des pires Gruppenführer SS du Reich.
Entre détente et propagande
La présence quasi continuelle d’enfants au Berghof peut surprendre. Finalement, l’objectif est évident : les innombrables clichés montrant Hitler riant aux éclats avec une fillette subjuguée ou un blondinet fier comme un coq, évoquent la figure bienveillante du Führer, père de la nation allemande.
Le Führer se servit de celle des autres pour donner à la galerie l’illusion d’une vie de famille et, peut-être (on ne le saura jamais), en ressentir fugacement les émotions. Les enfants ne manquaient pas sur l’Obersalzberg ou à Berchtesgaden pour en peupler artificiellement le Berghof. Les films d’Eva Braun nous en montrent courant, jouant avec les chiens, tenant la main ou discutant avec un Hitler bienveillant, souriant, presque paternel.
Hitler et Eva Braun avec la petite Ursula Scheider, fille d’une amie de la maîtresse de maison
Ces jeunesses hitlériennes bienvenues au Berghof le sont encore davantage lorsqu’il s’agit de célébrer les anniversaires du Führer, véritables journées de communion, voire d’hystérie, pour tous les partisants nazis et les groupies du maître.
C’est justement en recherchant un cadeau original pour marquer les cinquante ans d’Hitler, que germe dans l’esprit malade de Martin Bormann l’idée de construire une seconde résidence sur l’Obersaltzberg. Le fameux « nid d’aigle », la maison du mont Kehlstein, qui offre une vue imprenable sur la vallée, est la seule rescapée des bombardements alliés le 25 avril 1945. Cette folie architecturale et urbanistique, gouffre financier à l’utilité contestable, Hitler ne doit le découvrir que le jour de ses cinquante ans, le 20 avril 1939. Mais on avance la surprise (qui n’en est alors plus vraiment une) de quelques mois.
Hitler s’en lasse aussi vite qu’un enfant d’un jouet neuf : quelques semaines lui suffisent pour se détourner de son cadeau d’anniversaire. Pourtant loin d’être une bagatelle insignifiante, ce « jouet » aura coûté 30 millions de marks et la vie de plusieurs ouvriers. Mais pourquoi Hitler et ses sbires s’en seraient-ils souciés ? Eux qui ne s’émouvaient pas d’envoyer à la mort des millions d’innocents n’étaient malheureusement plus à ça près…
Je conseille ce livre qui offre une toute autre approche des années terribles de la Seconde Guerre mondiale. Thierry Lentz nous montre comment Hitler et ses sbires vivaient complètement déconnectés du monde réel, et comment ces esprits dérangés se laissaient finalement guidés par les plus viles passions humaines.
Procurez-vous « Le diable sur la montagne » de Thierry Lentz !
Points positifs
♥ Un récit sobre et joliment conté, grâce au style de l’auteur, épuré mais dynamique, qui convient parfaitement au sujet abordé.
♥ La découverte d’une autre facette d’Hitler et des partisans nazis, leur stupéfiant quotidien entre politique et vie de campagne.
♥ Des anecdotes surprenantes et souvent méconnues du grand public.
♥ Le découpage de l’ouvrage, en chapitre courts mêlés d’intermèdes sur des personnages secondaires, comme Magda et Romy Schneider.
♥ Une histoire de l’Obersalzberg pendant la présence du Führer au Berghof, mais aussi avant, et après, suite au bombardement allié.
Points négatifs
♠ Je suis obligée ?