L’avenir de nos églises urbaines et rurales a été au centre d'un colloque organisé au palais de Chaillot par le Comité du patrimoine cultuel, présidé par Bruno Foucart, professeur émérite d’histoire de l’art à la Sorbonne, les 26 et 27 juin.
La foule et la qualité des participants témoignent de l’attente et de l’appétit que suscite un tel sujet auprès des conservateurs du patrimoine, des responsables ecclésiastiques, des élus locaux et des responsables d’associations de sauvegarde.
Ne serait-ce que pour avoir réuni un tel public, ce colloque peut être considéré comme un réel succès.
Bien naturellement, ceci ne saurait dissimuler les divergences d’interprétations tant sur le constat que les perspectives d’avenir de notre patrimoine religieux. Mais enfin, je persiste à penser, un peu à la mode d’Origène : « Voyez, ils se parlent… ».
Tout n’a pas été dit, mais bien des choses ont pu être dites. C’est pour quoi, sans flagornerie, je félicite les auteurs de ce colloque pour sa tenue et sa qualité.
Voici pour ma part ce que j’en ai retenu. Les observations toutes personnelles qui suivent peuvent être contestées, les commentaires en bas de cette note sont naturellement ouverts à toute critique.
De la campagne de presse qui a prévalu à l’organisation du colloque
Plusieurs personnes rencontrées, appartenant ou ayant appartenu à des institutions diverses, m’ont fait part de blessures ressenties à la lecture des nombreux articles parus sur les menaces qui pèsent sur nos églises. Ces blessures, irritations et agacements sont sincères, à n’en pas douter. Certaines m’ont été transmises par des personnes de qualité. Je les reçois, je les écoute.
Ayant été sur ce blog parmi les tous premiers à relater les projets de démolitions d’églises et à m’interroger sur l’avenir de nos églises, je demande sincèrement pardon aux personnes que mes propos auraient pu blesser malgré le soin que j’ai eu durant cette dernière période d’apporter des faits vérifiés et des chiffres incontestables. Je ne demande qu’à être corrigé de mes défaillances toujours possibles.
Mais cette irritation dépasse mon modeste cas. Sans doute est-elle due en grande partie au déferlement médiatique que le sujet a suscité et à certaines approximations véhiculées par certains.
Malgré tout, qu’il me soit permis de retracer une évaluation délibérément positive de que qu'on appelé communément la « campagne de presse ».
- Positive car elle a rencontré la sensibilité de mes confrères et consœurs journalistes et prouvé en quelque sorte que ce patrimoine religieux n’était ni méprisé ni déconsidéré des médias écrits et audiovisuels.
- Positive parce qu’elle a rencontré l’émotion du public qui a pu dire à cette occasion sont attachement fort au patrimoine religion bien au-delà de toute appartenance et de toute confession. Cet attachement, montré entre autre dans le sondage de Pèlerin, a vérifié la pertinence de la formulation de Barrès : « L’église compte tout autant pour celui qui s’agenouille devant l’autel que pour celui qui la regarde depuis la place du village ».
- Positive, parce qu’elle a fait « bouger les lignes » et contraint tous les acteurs et les responsables de se saisir ouvertement du dossier. La tenue de ce colloque est un bel exemple.
- Positive enfin parce que les quatre ou cinq églises promises à la démolition, qui ont été au centre des enquêtes et reportages médiatiques, sont à ce jour encore debout et leur destin remis à l’étude. Contrairement à toutes celles qui ont été démolies dans la quasi-indifférence générale et dont j’ai pu retrouver la trace (voir la liste des églises démolies depuis 2000)
Certes, nous, journalistes, pouvons apparaître comme des « empêcheurs de démolir en rond ». J’accepte ce reproche, mais n’est-il pas de notre mission de poser à chaque fois la question de savoir si tout autre solution a été véritablement épuisée ?
Qu’il soit bien clair, jamais je n’ai écrit ni même pensé que les conservateurs du patrimoine et les élus pussent être les « fossoyeurs du patrimoine ».
Alors que je tentais de justifier devant l’assistance du colloque cette évaluation positive, Dominique Ponnaud, ancien président du Comité du patrimoine cultuel et ancien directeur de l’Ecole du Louvre, formula à mon adresse cette citation de saint François de Sales : « le bruit ne fait pas de bien et le bien ne fait pas bruit ».
Si j’avais eu encore le micro en main, je lui aurais, très respectueusement parce que je l’estime profondément, répondu que François de Sales, qui est aussi un de mes amis, avait été donné par l’Eglise catholique comme saint patron aux journalistes. Et pourquoi cela ? Parce que souffrant par les autorités locales d’une interdiction de prêcher publiquement « des vérités qui dérangeaient », il détourna la sanction en imprimant ses prêches et en distribuant ses imprimés sous les portes des habitations… L’homme d’Eglise s’était fait à l’occasion homme de presse.
De la volonté de Christine Albanel de vouloir ce colloque
Comme beaucoup d’acteurs et d’observateurs du patrimoine religieux, je suis gré à Christine Albanel, ministre de la Culture et de la communication, d’avoir voulu ce colloque. Comme beaucoup de personnes présentes au colloque, je regrette vivement qu’elle n’ait pu, ou pas su, se libérer pour l’événement. La ministre fut pourtant annoncée à plusieurs reprises. Son absence n’a pas été compensée par la trop brève apparition de son directeur de l’architecture et du patrimoine. Pourtant la cause le méritait. Au risque de me faire étiqueter de « barèsien », je crois que l’avenir de notre patrimoine religieux compte parmi les causes majeures de notre politique culturelle. Une cause nationale, oserai-je dire.
De quelques points en particulier
Je ne reviens pas sur les interventions dans l’attente de la publication des actes du colloque. L’analyse en sera alors plus fine. Mais je souhaite aborder quelques points abordés ici ou là.
Yves Lescroart, inspecteur général des monuments historiques et secrétaire du Comité du patrimoine culturel, a relu, du point de vue de l’institution qui l’occupe, la campagne de presse. Je lui ai déjà répondu à ce sujet (lire plus haut) et même si nos conclusions gardent leurs nuances respectives elles ne sont pas loin de se rejoindre sur les points les plus importants.
En revanche, je ne lui ai pas répondu sur la question des désaffectations des églises. Selon l’orateur, cette question resterait marginale et ne concernerait que quelques 144 édifices depuis 1905. Pour ma part, je reste convaincu que cette question n’est pas marginale, qu’elle et se pose et se posera à l’avenir assez crûment ; je n’en voudrais pour preuve que cette initiative prise en février de cette année par le préfet de l’Orne de constituer un groupe d’étude à cette effet.
Plusieurs intervenants ont tenu à nous rassurer sur la situation générale de nos églises et autres lieux de culte.
Outre la qualité indiscutable des orateurs, j’ai ressenti le motif un peu trop souvent répété d’une institution (le ministère de la Culture pour globaliser) qui cherchait à justifier une conduite et à minimiser la réalité du terrain telle que nombre de praticiens, dont je suis, la perçoive. « Tout serait bien dans le meilleur des mondes et les cas incriminés des exceptions regrettables »… Soit.
Mais comment alors interpréter cette réponse du Conseil général du Maine-et-Loire au maire d’Epiré : « le Conseil général a fait savoir qu'il y avait beaucoup trop d'églises à rénover de ce type en Maine et Loire et que certaines devaient disparaître ». (Source Courrier de l’Ouest du 15 mai 2008). Ce genre de réponse n’est tout à fait isolée, comme en témoigne cette lettre du président du conseil général de l’Ariège reçue par l’OPR :" J'attire votre attention sur le fait qu'actuellement la majorité des églises situées dans les communes rurales en Ariège, classées ou inscrites à l'Inventaire MH, sont en péril dans la mesure où les crédits ont été extrêmement réduits par l'Etat."
Certes, ne dramatisons pas ! Mais Dieu qu’il reste difficile de demeurer serein…
Dire cela n’est pas désavouer la grande majorité des maires et des équipes municipales qui se démènent pour préserver leur patrimoine. Dire cela n’est pas accuser les conservateurs en chef du patrimoine de ne pas faire leur boulot.
Je ne cherche pas à m’installer dans une guerre de tranchée. Mais il nous faut observer lucidement le terrain pour trouver ensemble des solutions qui garantissent l’avenir de nos lieux de cultes.
J’ai cru comprendre d'autre part que l’inventaire officiel de notre patrimoine cultuel était en panne. Désormais confié aux Régions par les vertus de la décentralisation, nous ne sommes pas prêts, semble-t-il, de disposer par les voies officielles des outils de connaissance dont nous aurions tant besoin.
Combien de lieux de culte comptons-nous en France ? Personne à ce jour ne peut le dire avec certitude. Selon Emile Poulat, qui animait l’un des ateliers, personne n’est d’accord sur le nombre exact de cathédrales en France, tant les critères des uns et des autres divergent.
Je voudrais également revenir sur un état d’esprit fréquemment rencontré qui se cache sous un réalisme de bon aloi mais qui traduit surtout à mes yeux un pessimisme redoutable. Je le rencontre, parfois prononcé par d’éminentes personnalités sous forme de deux sentences : « On ne peut pas tout sauver » et « A toute époque on a détruit des églises, parfois même pour les remplacer par de nouvelles ».
On en pourrait donc pas tout sauver… Alors que faire ?
Quel général avant de livrer bataille jugeant qu’il ne pourrait pas sauver tous ses hommes, déciderait d’emblée combien et qui il sacrifierait ? J’ose imaginer que non seulement il espérerait la victoire mais que celle-ci ne serait vraiment comblée qu’avec le retour du plus grand nombre possible de ses soldats. A mon sens il en va de même pour notre patrimoine religieux : commençons par préserver le maximum d’églises et autres lieux de culte et discutons des autres au cas par cas.
On a toujours démoli... C’est effectivement une vérité. On a toujours démoli, parfois dans l’indifférence, parfois dans les larmes. Mais notons que nombre d’édifices épargnés l’ont été grâce à l’opposition d’une âme sensible, fut-elle seule.
Qui songerait aujourd’hui à démolir Saint-Germain-des-Prés, à Paris ? Pourtant, sous le premier Empire, son mauvais état conduisait à la décision de sa démolition et il fallut une campagne, menée par Victor Hugo, pour la sauver.
Et cette histoire se perpétue. En dix-huit ans de campagne, le mécénat de l’hebdomadaire Pèlerin, Un patrimoine pour demain , fourmille d’ exemples de personnes, souvent seules au départ, qui réussissent à mobiliser la population puis à convaincre l’équipe municipale de sauver une église ou une chapelle. Mon expérience au service de cette opération de mécénat m’a prouvé maintes fois que ce n’étaient pas les communes les plus riches qui parvenaient le mieux à sauvegarder leur patrimoine, ni les plus pauvres et les moins habitées qui n’y parvenaient pas. Je suis convaincu, pour avoir rencontré tant de « miracles », qu’il n’existe pas de fatalité à ce sujet.
Certes, je suis d’accord, le problème sera toujours devant nous. Nous n’en aurons jamais fini avec nos églises, comme avec l’ensemble de notre patrimoine. Paraphrasant l’humoriste Alphonse Allais, on peut dire que « Sous chaque clocher, il y aura toujours quelque chose qui clochera ».
De la place réservée à l’Eglise catholique et de ses interventions
Beaucoup ont rendu hommage aux organisateurs d’avoir su donner à l’Eglise catholique, affectataire principal de la grande majorité des lieux de culte en France, une place reconnue et une expression ouverte. Et c’est justice.
Vous trouverez un très bon compte-rendu de cela dans l’article de La Croix paru ce jour.
J’ai pour ma part apprécié entendre nos évêques dire que la messe dominicale n’était pas seule forme de culte et que nos églises devaient s’ouvrir encore plus largement à différentes formes de prières collectives et individuelles, qu’il était du devoir de l’Eglise catholique de faire vivre ses églises J’ai apprécié les entendre reconnaître qu’une démolition ou une désaffectation générait souvent un grand désarroi dans la population.
Et, modeste laïc que je suis, je voudrais les encourager, dans cette vivification de nos églises, à ré-insister sur l’importance pédagogique et mystique de nos arts sacrés.
Il faut redonner à ces derniers une assise et un engouement populaires. Qui connaît son église et en comprend les messages aura à cœur de la faire vivre.
Comme Barrès, je crois « qu’il n’existe pas d’église laide ». Chacune a son trésor qu’il faut dévoiler, rendre accessible au plus grand nombre. Chacune témoigne de la rencontre d’aventures humaines et d’un mystère divin. Toutes sont expression d’une culture et cette culture est intéressante à connaître tant par celui qui croit au Ciel que par celui qui n’y croit pas. Ne laissons le fossé se creuser davantage entre notre culture chrétienne et celui d’une société qui oublie peu à peu d’où elle vient.
J’ai la faiblesse de croire qu’existe là le principal levier à tous nos soucis quant l’avenir de notre patrimoine religieux. Et ce à tout niveau : spirituel, culturel, financier…
Des portes à ouvrir
Oui des portes à ouvrir, à commencer par celles de nos églises.
Pour cela, il leur faut trouver de nouveaux financements, car nous constatons que même le classement MH n’est pas le sésame absolu à leur conservation. A côté des aides publiques, des fondations privées existent, telles la sauvegarde de l’art français. D’autres nouvelles verront peut-être prochainement le jour… Espérons-le.
Mais il faut aussi mieux aider les propriétaires, publics ou privés, dans la conservation quotidienne de leurs édifices. Prévenir plutôt que guérir. Restaurer coûtera toujours plus cher qu’entretenir.
Alors pourquoi ne pas s’inspirer d’exemples voisins tel le Momumentenwacht de nos amis belges flamands ? Cette association dont les adhérents sont des collectivités locales ou des associations, réalise pour ces derniers des diagnostiques sanitaires gratuit et réguliers de leur patrimoine bâti afin d’en faciliter l’entretien au moindre coût.
Afin de partager au plus grand nombre les richesses de nos arts sacrés, pourquoi ne pas s’inspirer de nos voisins suisses ou tchèques qui durant une nuit ouvrent leurs églises et les font vivres aux couleurs des trésors de notre patrimoine chrétien : visites guidées, concerts, lectures des plus beaux textes du patrimoine chrétien, théâtre au sens des mystères médiévaux, heures de silences et de recueillement, projections, mises en lumières, processions aux flambeaux… Et pourquoi l’Eglise catholique ne porterait-elle pas une telle initiative ? Chez nos voisins suisses cette nuit est portée à la même date par les Eglises catholiques, luthériennes et calvinistes…
Enfin s’il existe à l’étranger des initiatives heureuses qui connaissent un véritable succès comme celles que je viens de citer, on en compte aussi d’autres en France qui sont méconnues. Peut-être trouverait-on là matière à un nouveau colloque. Il serait formidablement intéressant de faire connaître au plus grand nombre cette créativité du « terrain ». La contagion par l’exemple, cela existe.
N’hésitez à commenter cette note, à la critiquer, à révéler vos initiatives…