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(Note de lecture) Warsan Shire, "Où j’apprends à ma mère à donner naissance", par Camille Loivier

Par Florence Trocmé

Shire_corpusQuand j’ouvre le recueil, je ne m’attends à rien. Je n’ai même pas l’intention de lire, j’ouvre le livre à cause de son titre que je comprends de travers : je donne naissance à ma mère.
La phrase en exergue est troublante de candeur « J’ai la bouche de ma mère et les yeux de mon père ;/sur mon visage ils sont toujours ensemble » Le premier poème, court, de trois vers, est frais et caustique. Ensuite on plonge dans tout autre chose : de sensuel, de violent, de sanguin, – mais de féminin.
C’est bien un autre monde qui nous parle en ces mots, d’autres cultures, d’autres langues, et toujours multiples, métissées, complexes, denses et odorantes. On ne sait pas où l’on est, cela fait appel au fond de soi. Bien sûr, on n’a pas lu la quatrième de couverture, qui nous aurait donné des clefs, des repères. On peut ne pas en vouloir, s’assurer après. On préfère entrer directement dans le vif du sujet, comme Warsan Shire, poétesse somalie et britannique, née en 1988, vivant à Londres, nous invite à la faire, avec une hospitalité étouffante, exubérante.
J’ai en tête des femmes aux robes merveilleuses, drapées, aux bijoux argentés, des odeurs de maïs grillé, de cannelle, de parfums suaves, des dattes sucrées. En lisant des mots, on voit, on entend, on sent, on côtoie des personnes, leurs corps malmenés ou aimés, frottent et froissent joie et douleur ensemble.
Pas de doute, on retient sa respiration comme dans « Le premier baiser de ta mère »:
Elle a si longtemps retenu son souffle qu’elle s’est évanouie
Le sang et le jus de raisin se mêlent. Elle rit, mais pas soi.
La vie familiale est violente, les hommes partent, reviennent, font des enfants qu’ils oublient. Les hommes tapent :
 « comme son père aimait cogner les filles/ en pleine figure »
Dans ces poèmes, on n’excuse pas les coups, on ne les accepte pas au nom de l’amour ou d’un dieu. Ce sont des faits, on ne peut les taire. Mais les jeunes filles se préparent à l’amour qui n’est pas platonique :
Je découvre qu’une fille de la taille d’un petit gémir
habite dans la chambre d’amis. Elle ressemble à qui j’étais à quinze ans
tout en pulpe et piquant.
Elle passe la journée entière dans la chambre
à mesurer ses cuisses.
(Os)
Certes la vie est prosaïque, la chair n’est jamais lasse, ces vers bien charpentés nous emportent et nous offrent leur vitalité. Ils nous regardent droit dans les yeux, sans faillir, et il est difficile de ne pas rougir, quand les mots fouettent le sang et stimulent la pensée.
Le souvenir de guerres lointaines afflue aussi dans les voix de ces en allées, de ces nouvellement installées qui souffrent :
Elle est un bateau de guerre à l’amarrage,
Son corps, un village incendié, une prison
aux grilles ouvertes. Elle refuse que je l’enlace
maintenant, qu’elle en a plus que jamais besoin.
(Ma femme est étrangère et se meurt et ne veut pas être touchée) 
On perçoit dans l’accent des mots un regard de femme sur le monde des hommes et des femmes, ce qui ne veut pas dire que les femmes sont d’une seule voix, mais qu’il y a quelque chose à décrypter dans cette langue là aussi, à côté de laquelle on pourrait passer sans voir.
Le recueil se clôt sur un poème qui le résume dans son interrogation « En amour et en guerre » :
À ma fille je dirai,
« Quand viendront les hommes, tu t’incendieras » 
Invocation mystérieuse, passionnée qui brûle tout le long de ce recueil, où des mots étrangers nous émeuvent parfois comme des Macaanto, langue de Somalie, langue aussi de l’Islam, car la religion est là pour nous adoucir.
Saluons la traduction de Sika Fakambi qui sait si bien donner du rythme à sa langue, si bien la chahuter, elle nous approche si bien du texte original que l’on ne ressent pas le besoin de le lire.
Camille Loivier

Warsan Shire, Où j’apprends à ma mère à donner naissance, traduit de l’anglais par Sika Fakambi, Isabelle Sauvage, 2017, 44 p., 16€


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