(De l’envoyé spécial du Petit Journal.) Front français des Flandres, 10 octobre. M. de Turenne a déclaré : « Pour faire la guerre dans les Flandres, il faut être fou. » M. de Turenne n’avait probablement pas dit toute sa pensée, sinon il aurait ajouté : « Il faut être fou ou sûr de soi. » Les Britanniques et les Français qui se battent à cette heure dans le pays flamand nous amènent à rectifier feu M. le maréchal. Aucune démence dans leurs décisions, simplement un jugement ferme, une volonté tenace. Pourquoi M. de Turenne avait-il prononcé sa phrase ? Parce qu’il pleuvait sans cesse. Il pleut toujours. Le ciel et le terrain n’ont rien gagné avec les siècles. Impropres ils étaient aux marches des armées, impropres ils sont restés. Quoique se plaignant déjà des désavantages de la contrée, M. de Turenne, vu de nos jours, n’était pas à plaindre. Que dirait-il alors, s’il était le général Anthoine ? Turenne n’avait besoin que de marcher, Anthoine, en plus, a besoin d’y voir, or, il n’y voit rien. Les avions ne peuvent pas ici fournir leur travail. Quand une journée par hasard est favorable, elle ne l’est guère que pendant deux heures. On s’en tire autrement. Par un autre moyen on règle l’artillerie, ce moyen, le général Anthoine le garde pour lui. Cet artilleur a son secret. Le « Sorcier » et le « Météore » Pluie, boue, froid, brume, voilà dans quoi sont les Alliés du Nord. Si, non contents d’y tenir, ils s’y battent, c’est qu’ils ont leurs raisons. Ils ont, d’ailleurs, accepté ce ciel d’eau et ces marécages. Leurs moyens, leur endurance sont calculés d’après le maximum de difficultés à subir. Ayant haussé leurs âmes, ils se sont installés dans cette terre inhabitable et l’habitent, comme s’il n’y en avait pas d’autre plus commode. La pluie, ailleurs, n’est pas prévue dans le programme des offensives, ici elle l’est. Dans chaque armée se trouve un homme de science qui prédit le temps ; dans l’armée française, il s’appelle le sorcier ; dans l’armée anglaise, le météore. Pour ne pas lui faire de peine, l’armée anglaise des Flandres, quoique sachant à quoi s’en tenir, continua à interroger son météore. Le météore, las d’avoir toujours pronostiqué le malheur, s’accrochait aux plus légers symptômes de beau temps, dès qu’il en apercevait un, il se précipitait au quartier général pour l’annoncer. Au début, nos alliés le crurent, ils tablèrent sur ce beau temps, mais quand il se produisait, il était si fugitif qu’ils convinrent qu’il ferait toujours mauvais. Et malgré cela, depuis trois mois l’offensive continue. De périodes en périodes, les Franco-Anglais repoussent le Boche. Ils le délogent chaque fois d’une position heureuse choisie par lui. Bientôt nos alliés seront à Passchendaele, dernière défense naturelle de l’ennemi. Qu’arrivera-t-il à ce moment ? Notre victoire s’accroît Mais cela est de demain. Revenons au présent. Par trois fois hier, les Allemands ont contre-attaqué. Leur principal effort fut contre la ferme de la Victoire, la ferme nous resta, la victoire aussi. Elle fut même accrue. C’est du bois de Papegoed qu’ils partirent pour nous arracher leurs biens perdus, ils furent ramenés en arrière et, puisque, pour les ramener, les nôtres durent avancer, ils en profitèrent, puisqu’ils étaient là, pour prendre la ferme de ce bois. Toute l’affaire fut si vivement menée que, durant ces deux journées, les bataillons de première ligne seuls donnèrent. Le bélier défonce méthodiquement le mur ; le général Anthoine à travers sa sévérité est content.
Le Petit Journal
, 11 octobre 1917.Aux Editions de la Bibliothèque malgache, la collection Bibliothèque 1914-1918, qui accueillera le moment venu les articles d'Albert Londres sur la Grande Guerre, rassemble des textes de cette période. 21 titres sont parus, dont voici les couvertures des plus récents:
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