L’art et l’air du temps, c’ est l’axe d’analyse retenu pour rendre compte la rétrospective d’Alexandre Bertrand, présentée la Fondation Clément du 8 septembre au 2 Novembre.
Il semble important de souligner que la difficulté essentielle a bien été de partir d’un corpus incomplet d’œuvres, le plus souvent non datées.
Une partie non négligeable du travail de Jean Marie – Louise, commissaire de l’exposition, a consisté, dans un premier temps, à pister les œuvres chez les collectionneurs et, dans un second temps, à tenter de rétablir une chronologie en s’appuyant sur l’évolution stylistique et sur celle de la signature.
Donc l’analyse se révèle lacunaire faute d’inventaire complet des œuvres et des expos. En souhaitant que notre difficulté présente parvienne à convaincre les plasticiens d’aujourd’hui de la nécessité de documenter convenablement leurs productions artistiques.
Comment aborder, comprendre et commenter l’œuvre d’Alexandre Bertrand aujourd’hui.
Ce que l’on remarque en premier lieu, c’est une pluralité de styles et une pluralité de genres picturaux : nus, natures mortes, paysages, scènes de la vie quotidienne et l’on passe même de la figuration à l’abstraction.
Comment l’expliquer ?
Les qualités les plus significatives du travail d’un artiste qui incarnent son identité artistique découlent certes des efforts solitaires d’un individu. Néanmoins son style personnel est également façonné par des facteurs externes et ne peut s’exercer indépendamment de la structure qui l’entoure, c’est-à-dire des valeurs, des relations sociales et des foyers d’attention socialement induits.
Avant d’analyser les facteurs externes qui ont modelé l’œuvre de Bertrand, deux exemples significatifs, celui de deux artistes de la Caraïbe, Wifredo Lam et Carmen Herrera aideront à mieux percevoir l’importance des facteurs externes dans l’élaboration de l’oeuvre artistique.
L’exemple de La Jungle de Wifredo Lam montre bien l’importance des facteurs externes aux côtés de la recherche personnelle dans la formation du style de l’artiste. On sait que la volonté de valoriser une esthétique africaine communiquée par Picasso, la pratique de l’écriture automatique avec les surréalistes pendant son séjour à Marseille, la rencontre d’Aimé Césaire et de la négritude à la Martinique, la passion partagée avec Lydia Cabrera pour les religions afro- cubaines, la redécouverte de la nature tropicale ont contribué à l’émergence du style original et personnel de Wifredo Lam et à la Jungle en 1943.
Le cas de Carmen Herrera est aussi symptomatique de l’influence de facteurs externes cette fois non pas sur le style mais sur la carrière d’un artiste. Carmen Herrera est une artiste cubaine, née en 1915, vivant à New – York depuis le milieu des années cinquante. Elle vient de connaître une reconnaissance très tardive à l’âge de cent un ans, par le biais d’une importante rétrospective au Whitney museum, alors qu’elle n’a vendu sa première toile qu’en 2004 à l’âge de quatre vingt neuf ans. En effet, la mode et le succès de l’expressionnisme abstrait ont empêché de percevoir favorablement son style géométrique abstrait, plus rigoureux et plus froid que l’abstraction lyrique qui dominait le monde de l’art à l’époque alors que son style était déjà précurseur du minimalisme qui allait suivre.
Alors, quels facteurs externes, quelles valeurs ont influencé la production d’Alex Bertrand dans différentes directions : les scènes de la vie quotidienne locale, les genres picturaux académiques, l’abstraction.
On note en premier lieu, un intérêt manifeste pour les scènes de genre, pour la représentation du quotidien des classes populaires de son pays. Ce ne sont pas des portraits, les traits du visage ne sont pas individualisés ou dessinés. Ce sont des types humains.
Qu’appelle – t on peinture de genre ?
La notion de peinture de genre désigne l’illustration de scènes de la vie quotidienne, dont les personnages sont des types humains anonymes.
L’expression ne trouve son acception actuelle qu’à la fin du XVIIIe siècle. En 1766, Diderot écrivait ainsi : « On appelle du nom de peintres de genre indistinctement et ceux qui ne s’occupent que des fleurs, des fruits, des animaux, des bois, des forêts, des montagnes, et ceux qui empruntent leurs scènes à la vie commune et domestique » (Essais sur la peinture)
Les représentations de la vie domestique, du travail et des divertissements ont constitué un genre autonome dès l’antiquité mais dans le monde occidental chrétien, elles apparaissent à l’époque médiévale dans les enluminures des manuscrits et sur certains vitraux, comme des détails accessoires et marginaux de l’iconographie religieuse. Les thèmes, assez limités, traduisent le plus souvent des intentions symboliques : représentations des métiers, des travaux liés aux cycles du temps, allégories des cinq sens, allégories des vices et des vertus.
Il faut attendre le début du XVIe siècle pour que les sujets domestiques accèdent au statut de genre autonome. Pendant cette phase de son histoire, la peinture de genre perpétue ses liens avec la tradition allégorique et moralisante dont elle est issue.
Mais l’inventeur de ce genre appelé à un succès international est un Hollandais, Pieter van Laer,surnommé il Bamboccio, qui à partir de 1630 se fait une spécialité des scènes populaires situées dans des ruines antiques ou des paysages italiens.
En France, la demande d’un nombre croissant d’amateurs explique le succès des scènes paysannes de Le Nain.
Par la suite, la peinture de genre se fait discrète au plus fort de la vogue des thèmes héroïques, sous la Révolution et l’Empire.
L’art se dirige progressivement vers la dissolution des genres : les définitions traditionnelles des genres perdent leur pertinence. Le sujet s’efface derrière la primauté du style, appelé à d’incessants bouleversements.
D’ailleurs, en 1890, Maurice Denis affirmait: « Se rappeler qu’un tableau – avant d’être un cheval de bataille, une femme nue, ou une quelconque anecdote – est essentiellement une surface plane recouverte de couleurs en un certain ordre assemblées. »
Les avant-gardes successives du début du XXe siècle, ont porté un coup mortel au double principe de narration et d’imitation des apparences, et donc à la représentation crédible du quotidien. Ainsi elles achèveront l’enterrement des catégories qui avaient régi la conception de la peinture du XVIe au XIXe siècle.
Les scènes de genre d’Alexandre Bertrand représentent des ouvriers agricoles, des joueurs de dominos, des lavandières, des marchandes. Une petite précision, c’est Joachim Beuckelaer a donné au XVI siècle une vigueur inédite aux scènes de marché, associant figures et nature morte.
Le monde de la pêche est également très représenté dans l’œuvre de Bertrand comme dans les tableaux de l’Atelier 45. L’Atelier 45 est le premier mouvement artistique martiniquais. Il réunit trois peintres, Raymond Honorien, Marcel Mystille et Germain Tiquant dans une première exposition commune, en 1945, à la Maison des Fleurs. Pour resituer l’apparition de ce mouvement dans le contexte de l’époque, il convient de rappeler la création de la revue Tropiques en 1941 et notamment des articles de Suzanne Césaire et de René Ménil qui exhortaient les artistes à trouver leur originalité culturelle. La présence d’artistes européens, contraints par la guerre de séjourner durablement en Martinique et qui ont ouvert des ateliers d’initiation à la peinture a joué aussi un rôle.
Au vingtième siècle, les corps représentés par les artistes natifs de Martinique sont des corps populaires au travail dans des scènes de la vie quotidienne : lavandières à la rivière, marchandes de fruits et légumes ou scènes de pêche. Ainsi on peut rapprocher Yo tou fré (1998) de Germain Tiquant d’une peinture antérieure, de la décennie soixante mais non datée d’Alexandre Bertrand (1918-1995), L’écailleuse de poisson. A la Martinique, la représentation du corps demeure donc ancrée dans le réalisme même aux confins du vingt et unième siècle. Alors qu’en Europe, la problématique du corps se pose déjà de manière différente après l’expressionnisme et le cubisme, à la Martinique, on ne perçoit aucune volonté de sortir du cercle où les réalistes ont enfermé la peinture. L’objectif, la rupture d’avec les productions artistiques antérieures, la conquête se situe ailleurs. ‘ Nous avons voulu faire une peinture plus directe, plus vraie, plus enracinée. Voulant donner à la réalité martiniquaise sa place dans le monde, notre règle a été de faire sentir qu’il y a un peuple qui vit avec ses joies, ses souffrances. Nous avions le désir d’exalter le pays, de le faire connaître tel qu’il est. Pour nous, la peinture devait coller à l’image de la réalité non travestie . (Raymond Honorien – Rendre hommage à l’Atelier 45, Jean Marie Louise )
Et à ceux qui pourraient s’étonner du fossé entre les pratiques artistiques occidentales de la seconde moitié du vingtième siècle et les œuvres de la même période de la Martinique. Marcel Mystille, membre de l’Atelier 45 expliquait : ‘Il n’existait pas à l’époque en Martinique de livres ou de journaux traitant de l’art. Nous n’étions pas informés. Les courants d’avant – garde d’Europe ou d’ailleurs n’arrivaient pas jusqu’à nous’.
La simplification des formes
Cependant lorsque l’on compare des scènes similaires de peintres de la même époque, on remarque qu’Alexandre Bertrand fait un pas en avant dans la simplification des formes.
Cette simplification des formes, a été amorcée par Cézanne et amplifiée par le fauvisme. Elle se caractérise chez Alex Bertrand par l’ abandon du dessin et du modelé et le traitement de la couleur par larges aplats. La forme naît de l’ étendue des tâches colorées. C’est la couleur qui structure la forme.
En effet, ce qui prime pour Alexandre Bertrand , c’est la couleur
« Créer de l’émotion uniquement par la couleur, c’est ce qui me plaît. C’est une espèce d’obsession pour moi d’arriver rien que par la couleur à créer des œuvres »
Alexandre Bertrand et les membres de l’Atelier 45 sont sensiblement de la même génération ( 1918 pour Bertrand, 1920 pour les 3 autres ).Sauf erreur de ma part, la formation des peintres de l’atelier 45 s’est effectuée sur place alors qu’Alex Bertrand a suivi les cours de trois écoles d’art à Paris et aurait fréquenté l’atelier de Fernand Léger. Encouragé par M. Bally et Peux, il passe en effet avec succès le concours des bourses pour l’école des Beaux-arts qu’il fréquente en 1938 et 1939. Puis il poursuit ses études interrompues par la guerre à l’Ecole des arts appliqués de la rue Dupetit-Thouars, à l’Ecole Nationale des arts décoratifs de la rue d’Ulm Paris, à l’école des beaux-arts de la rue Bonaparte où il bénéficie des enseignements d’Eugène Narbonne. C’est sans doute le premier martiniquais à partir suivre les cours d’une école nationale.
Tout ceci montre qu’Alexandre Bertrand partage avec les peintres de l’époque l’intérêt pour les scènes de genre locales . Cet intérêt pour la culture locale est dans l’esprit de l’époque.
La critique sociale
Dans ses tableaux figuratifs Alexandre Bertrand s’adonne aussi à une critique sociale avec des oeuvres comme Bonjou Patron ou la soumission et Le petit pêcheur. Le dénuement de la classe populaire est évident dans le rendu dépenaillé des habits. Cette critique prend aussi des accents politiques avec l’Ojam qui évoque les évènements de 1960. A la suite de l’affichage, en décembre 1962, sur les murs de toute la Martinique, du Manifeste de l’Organisation de la Jeunesse Anticolonialiste de Martinique, dix – huit jeunes étudiants sont inculpés et certains incarcérés à Fresnes, pour atteinte à la sûreté de l’Etat. Le procès aboutira en 1964 à un acquittement général. Il n’est pas impossible que cette œuvre représente l’artiste Kho Kho René Corail incarcéré, d’après un entretien accordé par Dan, le fils d’Alex Bertrand.
A la critique de l’acceptation d’un ordre social qui oppresse la population s’ajoute peut – être une critique de l’assimilation identitaire comme semble vouloir le signifier un tableau où un homme noir se contemplant dans un miroir semble se voir blond aux yeux bleus.
Figures imposées
Aux cotés des scènes de genre locales, on trouve aussi des genres académiques, figures imposées des études aux beaux arts.
Des paysages : Trois paysages sont marqués par la simplification des formes qui contrastent avec un vue du Pain de sucre plus réaliste.
Deux marines qui montrent également une recherche de géométrisation et de simplification, ce qui donne l’occasion de préciser la définition de ce genre pictural
La peinture de marine, en tant que genre indépendant, se définit lentement dans la peinture occidentale, plus tard que le paysage et bien après le portrait ou la Nature morte Elle se développe pourtant à la faveur de la même évolution — naissance du tableau de chevalet, intérêt progressif pour les thèmes profanes — à laquelle s’ajoutent des facteurs spécifiques, de caractères historique, social et économique : les guerres et les explorations maritimes , l’essor de la navigation commerciale, qui tournent vers la mer l’attention des amateurs et des artistes. Comme le paysage, la peinture de genre et la nature morte, la peinture de marines naît chez les Flamands avec les Van Eyck au XVI siècle. La fin du XIXe siècle et le début du XXe , surtout l’impressionnisme et fauvisme, ont donné à ce genre un renouveau exceptionnel.
Il y a aussi des natures mortes.
Une nature morte est un genre de tableau qui représente des éléments issus de la nature et/ou des objets du quotidien dans une composition savamment choisie et travaillée par l’artiste. C’est un genre pictural en soi, au même titre que le portrait ou le paysage.
La nature morte est d’abord une œuvre plastique. Le peintre dispose des objets de forme et de couleurs différentes pour obtenir une composition harmonieuse. Il joue des matières, des textures, de l’ombre et de la lumière pour montrer son habileté. Les acquéreurs ont longtemps été intéressés par ce genre pictural pour sa valeur décorative. La nature morte peut aussi avoir une signification symbolique Les objets, les aliments, les motifs décoratifs sont choisis par le peintre ou le commanditaire car ils portent une valeur religieuse, morale ou philosophique.
Lorsque la nature morte invite à la réflexion sur le temps qui passe et la vanité des plaisirs de ce monde face à la certitude de la mort, on parle de « vanité », genre particulier de la nature morte. Ainsi, la vanité est une réflexion sur la brièveté de la vie et la futilité de nos actions sur Terre.
Enfin, la nature morte invite à questionner la place des objets dans l’art. Les artistes du XXe siècle ont profondément renouvelé la place des objets dans l’art. En 1917, Marcel Duchamp crée ses premiers ready-mades qui introduisent des objets banals dans les musées. Les artistes du Pop Art et les Nouveaux Réalistes des années 1950 accumulent les produits de consommation courante ou les détournent de leur usage.
Cette nature morte aux mangues entraîne deux remarques, l’une sur le motif iconographique du drapé, l’autre sur l’indigénisme en peinture.
Le drapé est un motif iconographique omniprésent dans l’histoire de l’art. Le drapé est la manière dont le peintre ou le sculpteur arrange les étoffes et les vêtements dans leurs peintures. En lui-même, le drapé permet de rendre les textures les plus diverses mais il permet aussi de révéler le corps qu’il recouvre.
Le travail autour du drapé a fasciné de nombreux artistes occidentaux. Les draperies offrent aux artistes, notamment à partir de la Renaissance, l’occasion de révéler leur virtuosité et leur maitrise technique dans la représentation du réel. Le drapé permet en effet d’intégrer les effets d’ombres et de lumières, le rendu des matières et des volumes et parfois même l’expression du mouvement. L’étude du drapé devient dès lors, dans les écoles des Beaux-Arts, une pratique obligatoire pour l’apprenti peintre, parallèlement à l’étude du nu.
Les pommes ont été remplacées par des mangues. on peut donc inscrire ce tableau dans une pratique indigéniste.
L’indigénisme est d’abord un courant politique et culturel lancé au Pérou au début du XXe siècle, un siècle après l’indépendance du pays en 1821. Son objectif, redéfinir la « péruvianité » en y intégrant l’héritage indien, foulé aux pieds par la conquête et la colonisation espagnoles.
Un mouvement similaire se développe en Haïti en 1931 avec Pétion Savain (1906-1975) et Georges Remponeau (1916- 2012). Les deux artistes voulaient définir une identité haïtienne et la traduire dans leurs œuvres. Les peintres qui se sont joints à eux étaient tous et toutes plus ou moins de la même génération. Ils étaient du même milieu social, de ce que l’on appelle en Haïti la «bourgeoisie». Ils avaient tous et toutes une certaine formation reçue dans des établissements scolaires, dans le milieu familial, par des cours privés ou par correspondance.
On note dans ces natures mortes le traitement différent du fond soit structuré géométriquement soit uniformément blanc aux touches perceptibles, ce qui doit correspondre à des périodes successives.
La représentation florale occupe une place importante depuis la Haute Antiquité. Les fleurs sont ainsi présentes dans les peintures murales égyptiennes ou les décorations des villas romaines.
Ce sont des objets symboliques. Elles possèdent de multiples sens qui dépendent du contexte et du sujet traité. Leur splendeur éphémère est un hommage à la richesse et à la beauté de la nature ; mais elles peuvent aussi exprimer la fragilité de l’existence humaine, la vanité des biens de ce monde. Elles perdent progressivement toute signification symbolique et deviendront de simples objets de délectation.
Parmi les fleurs, la rose, symbole d’amour, est la fleur d’Aphrodite née de l’écume de la mer où pousse un rosier blanc arrosé par le nectar des dieux. La rose deviendra une des fleurs associées à la Vierge Marie; blanche, elle est symbole de pureté; rouge, elle évoque l’amour divin et la Passion du Christ, puis la brièveté de la vie sur terre. Il vous suffit de vous remémorer Ronsard et son épicurisme « Cueillez dès aujourd’hui les roses de la vie »
Quelques exemples de l’histoire de l’art prouvent à quel point ce sujet a séduit les peintres des siècles précédents : Brueghel, Chardin, Monet,Van Gogh, Dali, Picasso….
Enfin, la femme à sa coiffeuse est un autre sujet qui s’inscrit dans une tradition bien ancrée dans l’histoire de l’art .On note dans la version d’Alexandre Bertrand l’harmonie colorée dans les tons bleus.
Là encore, quelques exemples de l’histoire de l’art prouvent à quel point ce sujet a séduit les peintres des siècles précédents : Nicolas Régnier, Le Titien, Renoir, Berthe Morissot, Signac, Buffet, Kirchner, Leger, Rouault, Picasso…
Du figuratif à l’abstrait
L’alternance du figuratif et de l’abstrait s’explique par les séjours répétés d’Alex Bertrand au Canada.
Au Canada, l’artiste se sent libéré de la représentation de l’identité martiniquaise. De plus pour lui, il n’y a pas d’antagonisme entre ces deux tendances puisque, selon l’artiste, : il n’y a pas de peinture abstraite. Toute peinture est réaliste ! Puisqu’elle part d’une réalité individuelle et puisqu’elle fait appel à des éléments concrets pour matérialiser sa présence… on n’invente pas des formes, on les utilise. Les sentiments et les pensées sont toujours abstraits mais exprimés par des artistes, ils deviennent concrets. Le rôle de toute forme d’art est de transposer l’abstrait en concret ? (Horizons caraïbes juin à août 1955 – p 11). Les œuvres abstraites d’Alex Bertrand évoquent le cosmos, la cellule, l’ovule, l’oeuf, l’origine de la vie.
L’œuvre d’Alexandre Bertrand est marquée à la fois par l’influence de l’apprentissage dans les écoles d’art et de l’histoire de l’art européenne comme on le voit dans le respect des genres traditionnels et académiques : paysage, nature morte, nu , scènes de genre. Mais elle est aussi influencée par le contexte artistique martiniquais puisqu’ Alex Bertrand répond au goût du public pour les scènes de genre locales, sacrifiant quelque peu son goût pour l’abstraction peu prisée à cette époque à la Martinique ce qui explique en partie ses séjours au Canada où il se sent plus libre de s’y consacrer. Ce sont des points qu’il aborde dans des différents entretiens radiophoniques.
Si, en comparaison avec ses contemporains martiniquais, il va plus loin dans la simplification des formes de ses paysages et ses personnages, il ne semble pas intéressé par les recherches et les nouvelles formes contemporaines de l’art, du ready made au land art, de l’installation à la performance qui lui sont cependant contemporaines mais qui n’ont été enseignées aux Beaux – arts qu’après la réforme de 1968. Bien que les années soixante marquent le déclin de la peinture au profit de nouvelles formes artistiques, installation, performance, conceptuel et surtout la dilution des frontières entre les genres, voire la disparition même de la notion de genre. Alexandre Bertrand reste pour sa part fidèle aux conventions artistiques très compartimentées. Cependant il marque l’entrée de l’histoire de l’art de Martinique dans la modernité en développant la simplification des formes et en se situant dans un courant de pensée né avec la revue Tropiques et les articles de Suzanne Césaire et René Ménil : « apprendre à nous connaître enfin nous-mêmes »
Dominique Brebion
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