14-18, Albert Londres : «Ils vainquirent les hommes et la boue.»

Par Pmalgachie @pmalgachie
L’attaque française
(De l’envoyé spécial du Petit Journal.) Front français des Flandres, 9 octobre. Collaborant avec les Britanniques, des Français se battent dans les Flandres. Ils forment l’armée Anthoine. Elle attaqua ce matin et fut victorieuse. Depuis trois mois, c’est la sixième pointe que, dans ce sol de boue, ils portent aux Allemands. Le 31 juillet, le 16 août, le 20 et le 26 septembre, le 4 octobre, sont les dates des cinq premières. La sixième est de cette aurore. Fidèle à son passé, l’ennemi recula. Sous la pluie, dans le vent Il était 5 h. 20. Toute la nuit le vent avait soufflé à pleine vitesse. Il avait plu aussi. Il pleuvait et il ventait d’ailleurs depuis de longs jours. Pour mener la guerre sous ce ciel qui ne cesse de fondre en eau, il faut être ou sorcier ou optimiste. Expliquons-nous : il faut être sorcier pour deviner le temps ou optimiste pour s’en moquer. Que le général Anthoine soit sorcier, voilà ce que je ne voudrais avancer ; mais qu’il soit optimiste, cela je l’affirme. Hier soir, il pleuvait à vous transpercer trois caoutchoucs superposés, voire goudronnés. Le général Anthoine n’en eut pas le cœur mouillé, il dit : « On attaquera demain à 5 h. 20. » La vue est libre, la haine aussi… La bataille se passait sur un champ de plain-pied. Comme nous la vîmes hier, ainsi doivent toujours l’imaginer les enfants. Rien ne séparait les adversaires. Plus de crêtes, plus de monts, plus de ravins, les cotes éminentes de ces tristes plaines s’appellent la cote 4, la cote 6 ; plus que le spleen qui s’étend sur toutes ces terres humides, c’était plat. Nous étions sur l’Yperlé à Steenstraete. Entre les Français et les Boches pas un observatoire, pas une cheminée. De l’un à l’autre la vue était libre et la haine aussi. En face de nous, en bordure de la forêt d’Houthulst, les pièces allemandes tiraient leurs éclairs, trouaient le proche horizon. Derrière nous, c’étaient les pièces françaises. Le bruit de nos départs mangeait le bruit de leurs arrivées. Sous le vacarme le sifflement des nôtres, on voyait, sans les entendre, éclater les marmites. Face à face, visage découvert, les artilleries se battaient. Nous étions à Steenstraete. Nous y étions sans y être, car Steenstraete n’est plus. De la cour de la ferme du Rossignol (comme s’il était possible qu’un rossignol eût jamais chanté par ici), de la cour donc de cette ferme nous regardions le vaste champ où montait autrefois le houblon et où s’élevaient à cette heure des geysers de boue et de fumée. Ici comme à Verdun de glorieuses vedettes sanglantes nous entouraient. Il n’est pas un coin du grand pays barbare des tranchées où, quand vous vous faites décrire l’horizon, vous n’en voyiez surgir quelques-unes. De Steenstraete, c’est au nord, tout près, à quinze cents mètres, la Maison du Passeur où tant de Joyeux passèrent en effet et repassèrent, c’est au fond la forêt d’Houthulst, dont les profondeurs cachent depuis trois ans un des principaux chantiers de mort de l’ennemi, c’est Bixschoote, et c’est au milieu le ruisseau encore obscur et qui demain, à 5 heures 20, sera glorieux, le ruisseau Saint-Jean que bordent les nôtres et qu’à la grenade ils traverseront. Leur attaque se fera sur 2 kilomètres ; le premier bond doit les porter entre la ferme de la Victoire et la ferme d’Annibal. Si vous avez une carte, ne vous crevez pas les yeux, vous ne découvrirez pas ces noms. Leurs parrains ne sont pas des officiers d’état-major, ce sont les poilus… On attaque à 5 heures 30 ! Il pleut. Il pleut de façon écœurante. L’artillerie continue bien son massacre, mais c’est au travers des nuages et l’on ne peut pas dire que ce soit la meilleure méthode pour démolir ses objectifs. Enfin, quand on n’est pas sorcier, il faut être optimiste. Que le ciel le veuille ou non, on attaquera à 5 h. 20. Dans ce pays lugubre, toute la nuit les feux des canons vont former la voûte. 3 heures du matin, la pluie cesse. Le canon redouble. L’artilleur de l’armée française des Flandres ne vend pas sa mort au compte-gouttes ! 5 h. 20, c’est décidé depuis la veille. L’infanterie française se lève sur le ruisseau Saint-Jean. Le terrain n’est qu’un marécage, les trous d’obus sont autant de baignoires et ils n’avancent que de trous d’obus en trous d’obus. Lutte contre les hommes, lutte contre la boue. Magnifiques ! et si ce mot pouvait être réservé, c’est aux fantassins, seuls, qu’il devrait aller. Ils vainquirent les hommes et la boue. L’attaque, ce fut la victoire À 7 h. 25, ils atteignaient leur premier but, repartaient ; à 11 heures, ils avaient tout enlevé : les blockhaus bétonnés, les fermes Lannes, d’Islande, Houard, Catinat, Lassalle, les ruines de Veldhœck et les ruines de Mangelaere. Ils avaient avancé de 1 800 mètres, ramené 300 Boches, 2 canons, 3 mitrailleuses. Veinards pour une fois, ils étaient tombés en pleine relève boche, ils chassèrent les arrivants, et la relève, c’est eux qui la firent.

Le Petit Journal

, 10 octobre 1917.

Aux Editions de la Bibliothèque malgache, la collection Bibliothèque 1914-1918, qui accueillera le moment venu les articles d'Albert Londres sur la Grande Guerre, rassemble des textes de cette période. 21 titres sont parus, dont voici les couvertures des plus récents:

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